Lair : « Je ne m’appelle pas Patrice Courtois »

Olympique Lyonnais

ENTRETIEN. « Tiens, je n’ai même pas bu mon café. »  Et après 3h15 de discussion sur la terrasse de sa maison à Saint-Genis-Laval, ça fait longtemps que l’expresso de Patrice Lair est froid. Le coach de l’OL féminin, lui, est toujours chaud quand il s’agit de parler ballon. De son amour de jeunesse pour le Stade Rennais, de sa carrière de joueur « qui mettai(t) quelques pains », de son passage en Afrique, etc. Et de cette grande gueule qu’il assume même si elle fait parfois oublier qu’il est avant tout un entraîneur. Tout court. Et qui sait ce qu’il veut.

 

La deuxième partie : « Je leur laisse quartier libre dans les trente dernier mètres »

 

« Mon rêve, c’est d’entraîner le Stade Rennais »

Comment est venue ta passion du foot ?

Mon père m’a amené une fois au match à Rennes quand j’avais 5 ans. C’est devenu mon équipe. Mon rêve, c’est d’entraîner le Stade Rennais. Je n’ai connu que le vieux stade de la Route de Lorient. L’époque des Rennes-Marseille avec Magnusson et Skoblar, les derbys contre Nantes, etc. C’était mes dimanches après-midi ça ! Et la dernière coupe de France de Rennes face à l’OL (1-0 en 1971) avec André Guy, boum, qui tape dans le sol. J’en parle encore souvent avec Robert Valette. C’était une autre époque, c’était la fête et c’est vraiment ce qui m’a amené à aimer le football.

« J’étais milieu défensif. Techniquement, je n’étais pas trop mal mais je mettais quelques pains aussi.

Qui était le joueur Patrice Lair ?

J’étais milieu défensif, j’ai joué sept ans à Saint-Brieuc (de 1978 à 1985), notamment en D3 à l’époque. Techniquement, je n’étais pas trop mal, mais je mettais quelques pains aussi. J’aurais peut-être pu passer le cap même si j’ai eu deux fractures tibia-péroné, la première à 19 ans alors que j’étais en contact avec le centre de formation de Nantes.

Ne pas avoir goûté au monde professionnel en tant que joueur, ça reste un grand regret ?

Non, je n’ai jamais été trop assidu. J’aimais bien jouer, mais décontracté quoi. Autant je suis très rigoureux en tant qu’entraîneur, autant j’avais du mal à faire deux ou trois entraînements par semaine à l’époque. Il n’y avait pas tout cet argent, c’était beaucoup plus cool. Ça me bottait autant de jouer avec l’équipe réserve ou même l’équipe 3 de Saint-Brieuc qu’avec la première car ça restait vraiment un jeu pour moi. Je n’en avais rien à cirer de jouer au plus haut niveau possible.

« Des milieux comme Alou Diarra, je leur fous un coup de fusil ! »

Tu as toujours réussi malgré tout à vivre du football ?

Déjà, les études, ça n’a jamais trop été mon truc. J’ai eu la chance d’avoir un père médecin, j’avais quand même une vie assez facile. À Saint-Brieuc, par exemple, on prenait pas mal d’argent au black. C’était une époque où on ne regardait pas trop l’Urssaf, ces trucs-là. Il n’y a qu’en jouant à Avranches (de DH à D3 entre 1985 et 1987) que j’ai travaillé à côté du foot, en donnant des cours dans un sport-études. C’est là que j’ai commencé à passer mes diplômes d’entraîneur. J’aimais déjà bien m’occuper des jeunes. J’étais plus compétiteur avec eux que lorsque j’étais moi-même sur le terrain.

Ta philosophie de jeu ressemblait-t-elle à celle que tu as aujourd’hui ?

J’ai toujours eu le goût du jeu, la technique et l’envie d’être porté sur l’offensive. Même à sept avec ces jeunes, on ne défendait pas beaucoup, en général à deux derrière avec un gardien très haut. Ça me sert encore aujourd’hui avec mes filles : quand je fais des petits jeux, je mets toujours plus d’attaquants que de défenseurs. C’est mon équilibre.

« Je regarde souvent la L2 en essayant de me mettre à la place des coaches, plus que les chocs des championnats étrangers car je me dis, avec modestie, que ce n’est pas mon monde »

Que ressens-tu devant ta télévision lorsque tu vois Domenech remplacer Vieira par Alou Diarra en finale de Coupe du monde 2006 ou Laurent Blanc titulariser deux latéraux dans le couloir droit (Debuchy et Réveillère) face à l’Espagne lors du dernier Euro ?

Dans les deux cas, tu transmets ta peur aux joueurs et tu remets l’équipe en face en confiance avec ces choix. Dès ta composition de départ, il faut que tu montres à tes adversaires que tu vas les projeter dans le mur. Et puis des milieux comme Alou Diarra, je leur fous un coup de fusil (sic) ! Il joue tout le temps sur le côté, il est tranquille, il ne perdra pas un ballon. Même à 70 ans, tu me mets au milieu, je sais faire des passes latérales ou en retrait. En France, on manque de techniciens et de gens qui éliminent au milieu. On a vraiment un problème de formation.

« En France, on ne sait même pas faire une touche »

Quel est le plus grand mal du football français selon toi ?

Il faudrait être capable de savoir autant jouer dans un petit périmètre que sur du jeu long. C’est pourquoi de grands entraîneurs comme Mourinho ou Guardiola font travailler les mêmes gestes à l’entraînement. Les gars savent faire une passe, mettre un ballon dans la course ou dans les pieds. Nous, en France, il n’y a pas de problème, on sait tout faire (ironique). On met le ballon dans les talons ou le genou, on ne sait même pas faire une touche, la base quoi. Une passe doit mettre ton partenaire dans les meilleures conditions possibles.

Quels entraîneurs as-tu tenu à rencontrer pour peaufiner ton passage de joueur à entraîneur ?

Je suis notamment allé voir Fred Hantz et Christian Gourcuff. Je m’appuie pas mal sur son pressing et sa récupération. J’ai aussi vu Halilhodzic, un mec costaud humainement. Enfin, Michel Der Zakarian est un pote. Il va avoir bien besoin de sa niaque cette saison avec Nantes.

« En L1, on reste toujours dans les mêmes systèmes, même quand on prend le bouillon, c’est lassant. Tentez donc quelque chose ! »

Quelles sont tes équipes références ?

La seule équipe qui m’ait vraiment impressionné, c’est le Brésil de 1970. Le football reste un spectacle, je l’ai toujours dit. Récemment, plus que le Barça, j’ai trouvé le Bayern assez fabuleux par sa puissance, sa vitesse et sa percussion sur certains matchs. Ça partait de tous les côtés.

« Tactiquement, on propose une autre palette que beaucoup d’équipes masculines »

As-tu un système préféré ?

Tu dois être capable de jouer de toutes les manières, mais j’aime bien le 4-2-3-1. Si tu es intelligent, tu ne prendras jamais une tôle avec ce système-là. Tu te replaces bien, tu peux jouer défensif comme offensif, tu peux le passer en 4-4-2, en 4-3-3 ou en 3-5-2. C’est mon système de base avec lequel j’ai gagné le plus de matchs. Parfois en D1, j’ai aussi pu jouer en 3-2-5 à la Plaine des jeux. Là, les adversaires ne savent plus où elles habitent, ça revient dans tous les sens ! Tactiquement, on propose une autre palette que beaucoup d’équipes masculines. En L1, on reste toujours dans les mêmes systèmes, même quand on prend le bouillon, c’est lassant. Tentez donc quelque chose ! L’an dernier, je suis parti à la mi-temps de Gerland lors d’OL-Brest car Brest était content de perdre 1-0 et n’avançait pas.

« Je n’ai aucun problème avec Rémi, on se dit bonjour et bonsoir. Il n’aime pas trop le football féminin, c’est son choix »

Tu vas souvent voir des matchs à Gerland ?

Non, je préfère regarder les matchs à la télé. C’est soûlant d’être dans les tribunes et d’entendre tellement de conneries. Je serais capable de me retourner ! Je regarde souvent la L2 en essayant de me mettre à la place des coaches, plus que les chocs des championnats étrangers car je me dis, avec modestie, que ce n’est pas mon monde.

Est-ce qu’il t’arrive d’échanger avec Rémi Garde ?

Non, j’étais plus proche de Puel. Déjà car il avait validé mon arrivée (en 2010). On est toujours en relation. Je n’ai aucun problème avec Rémi, on se dit bonjour et bonsoir. Il n’aime pas trop le football féminin, c’est son choix.

Il faut dire que vos caractères semblent opposés. On a l’impression que Rémi Garde fait plus de politique…

À Lyon, il faut ça je crois. Moi je tiens le coup car j’ai des résultats. Si je ne gagnais pas tout le temps, il y a longtemps que j’aurais pris un coup de pied au derrière. Bon, personne ne m’emmerde car tout le monde sait que je ne me gêne pas pour envoyer paître les gens.

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Patrice Lair aux côtés de Jean-Michel Aulas après la victoire en Coupe de France. « Par moment, je pense qu’il aime bien mon caractère quand même. » (Photo Frédéric Chambert – Panoamic)

 

« L’histoire des casseroles a jeté un froid terrible »

Le président Aulas ne t’apprécie que pour tes résultats ?

Par moment, je pense qu’il aime bien mon caractère quand même. Il m’a pris comme je suis dès le départ. Je lui dis toujours quand je ne suis pas d’accord. Ça a chauffé plusieurs fois entre nous et je ne changerai pas. Si tu n’as plus la mainmise, il ne faut plus être entraîneur. Si tu n’es qu’une girouette, ce n’est pas la peine. J’ai encore deux ans (plus une année optionnelle) de contrat. On verra bien. Si on perd à Paris (dimanche 29 septembre), je serais peut-être viré le lendemain.

Paris ferait peut-être alors appel à toi ?

Peut-être mais je n’irai pas à Paris dans le football féminin. Franchement non, je ne ferai pas ça à Lyon, pas à mes filles. J’ai une certaine considération pour l’OL qui m’a permis d’être reconnu et de gagner deux Ligues des champions, je ne l’oublierai jamais. Ce serait plutôt l’étranger. Peut-être prendre un club aux États-Unis et viser la sélection un peu plus tard. Cela aurait pu se faire l’année dernière mais je dois m’améliorer en anglais. C’est un pays qui me tente. Après, c’est le projet qui fera la différence. Il me faut quelque chose de pétillant. Aujourd’hui, ce sont mes joueuses qui me retiennent, plus les titres. Sans prétention, j’ai tout gagné ici.

Gardes-tu un pied dans le football masculin en suivant de l’intérieur l’OL ?

Je peux parfois voir une séance ou discuter avec un ou deux joueurs mais pas plus. Je ne vais pas dire que j’ai l’impression de déranger mais ma présence n’est pas toujours bien perçue. Je préfère rester supporter. Je n’aime pas qu’on me dérange donc je ne vais pas aller déranger les autres. Ça se passe bien mais il n’y a pas vraiment d’atomes crochus quand même. C’est dommage mais je n’ai toujours pas digéré l’histoire des casseroles.

« Un gars comme Licha, on l’a mal utilisé. C’est quelqu’un qui a besoin de jouer à son poste préféré »

Cette déclaration de Bernard Lacombe a marqué une vraie cassure dans votre lien à l’institution OL ?

Je ne suis pas comme avant. Ça m’a fait vraiment mal par rapport aux joueuses, par rapport au fait qu’on ait pas mal sauvé l’image du club à un moment. Bernard, lors de la photo officielle l’autre jour, il était emmerdé, il n’osait pas trop s’approcher car il savait très bien qu’il ne serait pas forcément bien accueilli. Moi, je fais peut-être des petits dérapages, mais pas des comme ça quand même. Ça m’a empêché de bouffer pendant deux jours à Malmö. Si j’avais été en France ce jour-là, je me demande si je n’aurais pas été capable de démissionner. Ça a jeté un froid terrible car on fait partie du même club. Désormais, je fais mon truc de mon côté.

« Si on me propose l’équipe masculine de l’OL, je plonge »

L’isolement qu’a connu Claude Puel à l’OL pourrait te freiner à vouloir entraîner une grosse équipe dans le football masculin ?

La situation qu’il a connue à Lyon me ferait mal. Je le voyais manger seul le midi. Ça doit être terrible de se sentir ainsi détesté. Tu fais du foot, tu n’as tué personne ! Il y a une coupure à avoir…

Donc si on te propose demain d’entraîner l’équipe masculine de l’OL…

Je ne pense pas que j’ai beaucoup d’adeptes au sein du club mais si ça arrive, je plonge, je n’ai pas peur de le dire. Mais pas avec les mêmes personnes, ça c’est sûr.

Tu parles du staff ou des joueurs ?

De tout. Mais avec ce qu’il y a là, il y a moyen… Je tenterais peut-être d’autres choses aux entraînements, ainsi qu’en préparation athlétique. On manque un peu de percussion. Tout est souvent au même rythme. Un gars comme Licha, on l’a mal utilisé. C’est quelqu’un qui a besoin de jouer à son poste préféré. Si tu voulais qu’il donne tout, il fallait le mettre dans les meilleures conditions possibles.

« Je préfère me planter avec mes idées que changer mon discours pour m’adapter à d’autres. Je ne vais pas aller droit dans le mur avec les idées d’un autre. Je veux être libre »

As-tu toujours fait pratiquer à tes équipes un jeu offensif comme aujourd’hui à l’OL ?

Non, je n’allais pas jouer avec trois attaquants si je n’avais rien devant. Avec la réserve du Stade de Reims par exemple (2000-2002), je n’avais pas d’attaquant et on me demandait de jouer en 4-4-2… On s’est débrouillés avec une pointe en jouant surtout le contre au début et nous sommes restés invaincus, de la DH à la CFA2. Au point que Jean-Pierre Caillot est le seul président qui m’ait dit un jour : « Le budget des primes est pété pour la réserve, il est peut-être temps de perdre. » Un président qui te demande de perdre des matchs car il n’avait pas du tout prévu qu’on monte, ça doit quand même être dans les annales ! Tu ne peux pas faire n’importe quoi selon ton effectif. Si demain tu me dis que je vais entraîner en L1, je préfèrerais prendre le potentiel du Paris-SG – plutôt de Monaco d’ailleurs – que d’Évian-Thonon-Gaillard car je vais pouvoir jouer de différentes façons.

« A-t-on vraiment une crédibilité ? Je me pose la question… »

Et si tu as la possibilité d’entraîner un club comme l’ETG ?

Si les dirigeants m’annoncent qu’ils peuvent injecter un peu plus de moyens pour viser le top 7-8 voire plus après, OK. Mais, aujourd’hui, ce club ne joue que le maintien – et je ne le vois pas bien s’en sortir cette saison. Là-bas, il faudrait partir sur une base défensive pour pouvoir progresser. Tu peux faire du spectacle tout en jouant le contre, j’en suis persuadé. Il faut avoir assez de force mentale pour essayer d’imposer tes idées. Je préfère me planter avec mes idées que changer mon discours pour m’adapter à d’autres. Je ne vais pas aller droit dans le mur avec les idées d’un autre. Je veux être libre.

Avec le départ d’Antonetti, tu n’as pas songé à exaucer ton rêve d’entraîner le Stade Rennais dès cet été ?

Non, moi je fais partie du foot féminin. Même si j’ai gagné deux Ligues des champions et que j’ai dégommé pas mal d’équipes, ça n’a pas le même impact. Je trouve ça un peu dommage. Car sans vouloir dénigrer certaines personnes, je pense que je ferais aussi bien. J’ai changé d’agent il y a peu car il m’a dégoûté en deux minutes en me disant : « Tu dois comprendre que ton football féminin, c’est du football amateur. » J’aurais pu sauter sur une ou deux occasions en L2 mais j’ai peut-être manqué de cran car je suis bien à Lyon. Il y a un côté affectif avec ces filles qui m’ont donné entière satisfaction et j’ai des appointements largement au-dessus d’un club de L2, voire même de L1.

« Si j’avais vraiment voulu l’équipe de France, j’aurais un peu ciré des pompes. Mais je n’allais pas fermer ma gueule. Non, je veux faire avancer les choses »

Penses-tu que les dirigeants du football masculin verraient trop comme un pari la perspective de te recruter ?

Certains me font rigoler. J’ai gagné deux Ligues des champions avec les filles, ce n’est quand même pas déshonorant, si ? A-t-on vraiment une crédibilité ? Je me pose la question… Franchement, quand ils se renseignent, ils voient qu’on n’arrive pas à me manipuler et ça gêne. Il faut garder cette mainmise.

Ça pourrait te coûter des opportunités en or ?

Oui, à commencer par l’équipe de France féminine, il ne faut pas se leurrer. Quand tu entends Le Graët te dire qu’il veut mettre quelqu’un de courtois… C’est sûr, je ne m’appelle pas Patrice Courtois. Un gars comme (Philippe) Bergeroo ne fait pas de vagues. J’espère que quelqu’un voudra mettre un peu de folie et changer quelque chose dans son équipe. Si j’avais vraiment voulu l’équipe de France, j’aurais un peu ciré des pompes depuis un an et j’aurais peut-être eu le poste. Mais je n’allais pas fermer ma gueule par rapport à Juvisy et d’autres qui ne comprennent rien. Non, je veux faire avancer les choses. Mon Bini n’est plus là, il y a Bergeroo qui vient du football masculin, ça va déjà être mieux, il va y avoir une progression. Bon, j’ai entendu que l’objectif fixé dans deux ans était une médaille. C’est déjà un manque d’ambition. Il y a quatre ans, tu as fait 4e, là, il faut aller chercher le titre.

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Patrice Lair a découvert le foot féminin à Montpellier : « C’est là que j’ai compris tout le potentiel du football féminin, sur la faculté d’écoute et l’intelligence. » (Photo Jérémy Laugier – Le Libéro Lyon)

 

« Bergeroo ne connaît rien au foot féminin mais au moins on parle football »

Mais l’absence de médaille aux JO de Londres n’a choqué personne à la Fédération…

Il y a un groupe d’anciens qui a la mainmise là-dessus. La Fédé protégeait son image grâce aux filles, après l’histoire des garçons. Ils ont surtout insisté là-dessus en parlant du « football des princesses », avec Thiney et tout le machin. Leur priorité n’était pas d’aller chercher des titres mais de donner une bonne image. Pour eux, c’est comme ça, tout est beau. Alors qu’il faut faire jouer les meilleures et ça, ils ont du mal à ouvrir les yeux. Je les dérange, le club les dérange, mais je m’en fous.

Comment as-tu vécu cette longue période depuis Lyon, toi le compétiteur ?

J’étais malade car les filles partaient dix jours en sélections et ne s’entraînaient pas. Elles allaient signer des autographes dans les PMU avec l’autre (Bruno Bini). Il fallait deux ou trois semaines pour les remettre en route derrière. Tu es l’équipe de France, tu dois aller aux compétitions pour gagner des titres ! Quand je vois que contre le Danemark, il ne se sert même pas de son dernier changement, pour faire entrer Amandine Henry par exemple. Il avait picolé ou quoi (sic) ? S’il était resté dans un projet de jeu et pas un projet de vie, il l’aurait gagné cet Euro. Déjà, aux JO, je me demande s’il ne l’avait pas fait exprès de ne même pas ramener la médaille de bronze.

« Si Bini était resté dans un projet de jeu et pas un projet de vie, il l’aurait gagné cet Euro »

J’étais triste pour les filles mais elles sont allées dans le mur avec lui. Quand Sonia (Bompastor) a réagi, toutes les autres Lyonnaises auraient dû être solidaires. C’était à elles de montrer du caractère mais elles ont eu peur d’être sanctionnées. Après, je n’ai pas voulu rentrer là-dedans. Là, Bergeroo ne connaît rien au foot féminin mais au moins on parle football. Il m’a aussi dit qu’il voulait que des matchs de l’équipe de France féminine aient lieu à Lyon.

« J’ai dit aux filles que j’allais les coacher comme des mecs. Et elles adorent ça »

De ton côté, que connaissais-tu du football féminin quand tu as rejoint Montpellier (2005-2007) ?

Je ne savais pas grand-chose non plus. Je suis arrivé comme si j’avais un groupe de CFA ou de pros devant moi. Je leur ai annoncé qu’on allait s’entraîner deux fois par jour dès le lendemain, avec rendez-vous à 7 heures à la Grande Motte. Le manager de la section m’a dit que j’étais fou et qu’elles n’allaient jamais venir. Mais je leur ai donné de la considération, je leur ai dit que j’allais les coacher comme des mecs et les filles adorent ça. J’avais un mois pour leur faire comprendre la défense de zone. Avec les mecs, il te faut trois-quatre mois. Et encore… Là, dès le premier entraînement, ça coulissait ! C’est là que j’ai compris tout le potentiel du football féminin, sur la faculté d’écoute et l’intelligence.

Le foot féminin t’a-t-il manqué pendant trois ans ?

Non, car j’étais gonflé, j’ai senti que ça n’intéressait personne. Nicollin n’a plus mis de blé et a laissé tout le monde partir à Lyon, alors qu’on avait failli gagner la Ligue des champions (demi-finale en 2006).

« Au Bénin, ça s’est mal fini avec le président. Un jour, juste après une erreur de mon gardien, il est descendu et lui a tapé dessus avec un bout de bois »

« À côté de l’Afrique, la pression française, c’est de la rigolade »

Une saison après ton départ, tu découvres l’Afrique avec d’abord un mois à Savalou (Bénin)…

C’était autre chose, avec un côté humain fabuleux. C’est de la folie là-bas. Ils n’avaient pas grand-chose à bouffer, ils s’entraînaient et jouaient dans des conditions épouvantables, à 40 degrés. Mais c’était des bosseurs. Pour mon premier match dans le championnat de D1 du Bénin, le terrain a été envahi après que l’arbitre a sifflé un pénalty à cinq minutes de la fin. D’un coup, je vois un mec qui déboule et qui crève l’œil de l’arbitre ! Je me demande où je suis tombé. Le match s’est quand même fini (1-1) avec l’arbitre de touche. Le soir-même, on me faisait défiler dans le village car c’était un exploit pour eux, qui avaient l’habitude d’en prendre 7 ou 8 par match. Ça s’est mal fini avec le président. Un jour, juste après une erreur de mon gardien, il est descendu et lui a tapé dessus avec un bout de bois. Je les ai séparés. Mais là-bas, tu n’as pas le droit de toucher au président et tout le monde m’a dit que ça devenait chaud pour moi. Toute la semaine, le président m’a appelé pour s’assurer que je change de gardien. Je lui ai fait croire que j’allais le faire mais je l’ai maintenu pour le match suivant et on a gagné. Le président était fou, c’était la risée de tout le monde. Juste derrière, je me suis démerdé pour prendre l’avion et j’étais rassuré d’arriver à Roissy. La pression française, à côté, c’est de la rigolade. Ensuite, j’ai été DTN des moins de 17 ans au Rwanda. Enfin DTN, c’était juste le mot. Car tout est au jour le jour là-bas et je n’y ai passé que quatre mois. Tu ne peux faire aucun projet, c’est l’Afrique.

Tu as été entraîneur adjoint à Reims puis Angoulême, de 2001 à 2004. On t’imagine mal adjoint aujourd’hui…

(Longue hésitation) Numéro deux en faisant les entraînements et en ayant un regard sur l’équipe, je pense que ça passerait. Aulas m’a dit plusieurs fois que ce serait impossible pour moi d’être numéro deux. Je ne sais pas, il faudrait voir… Peut-être dans un très grand club avec un entraîneur ayant un palmarès. Si demain, je me retrouve manager avec les filles, je me ferais chier. J’ai vraiment besoin d’intervenir dans les séances, de les vivre.

« Ça m’arrive de dire aux filles : Mais quel pays de cons ! »

Finalement, plus que la Bretagne, ton caractère sanguin ne viendrait-il pas de tes deux saisons à Montpellier ?

J’aime bien ce côté « niaqueur ». Je suis surtout passé par des clubs s’appuyant sur le beau jeu. À Montpellier, j’ai bien aimé l’esprit pailladin, rentrer dans le lard… J’apprécie quand on se met chiffon et j’ai un peu ramené ça à Lyon.

Le « Breto-Pailladin » se plaît-il bien à Lyon ?

C’est une très belle ville. Mais je préfère le bord de mer, j’y suis né et Montpellier me plaisait bien. L’idéal, cela aurait été l’Olympique Lyonnais à Montpellier !

Ton image malgré ta réussite dans le foot féminin te donne-t-elle l’impression que tu ne te trouves pas dans le bon pays ?

Ça m’arrive de dire aux filles : « Mais quel pays de cons ! » On n’est pas assez ambitieux ici, on se contente de ce qu’on a et on s’endort. Après 1998, c’est ce qui s’est passé. Et en France, on essaie de dégommer ceux qui sont en haut. C’est pour ça que j’aime bien Bernard Hinault : un mec qui gagnait… et un Breton en plus ! Il a toujours eu la gagne en lui et il est toujours présent sur le Tour de France. Si jamais dans quinze ans, on me demande de donner le coup d’envoi d’une finale de Ligue des champions car j’ai marqué cette compétition, je serais content.

Entretien réalisé par Jérémy Laugier et Pierre Prugneau

La deuxième partie : « Je leur laisse quartier libre dans les trente dernier mètres »

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