« Truc le plus américain que j’ai vu de ma vie »

USA

WONDERFUL TOOL. Le match des maillots dans la journée avait été à sens unique et laissait présager de la soirée au Parc OL. « We’re louder », tentait de se rassurer une amie londonienne, mais Christen Press était le flocage le plus aperçu (ou peut-être celui qu’on a le plus remarqué, étant donné le temps de jeu réduit de l’attaquante des Utah Royals jusque-là) dans le Vieux Lyon et en Presqu’île et les jerseys de la Team USA étaient environ dix fois plus nombreux que ceux de l’Angleterre. Un rapport de force pas démenti par la suite des événements au Formidable Outil.

18h28 : Quai et tram bondés à Vaulx La Soie, où l’on pensait être tranquilles entre Lyonnais pour profiter de l’astuce « aller jusqu’à là-bas en métro, prendre ensuite le tram jusqu’à Grand Large et marcher cinq minutes. » Sauf que l’astuce figure dans le guide distribué aux supporters étrangers, à qui l’on recommande pourtant lourdement de payer 3€ pour la navette spéciale (gratuite dans toutes les autres villes de la Coupe du monde, même dans les stades éloignés du centre-ville comme celui de Nice). Si vous arnaquez les gens, essayez au moins de le faire correctement pour qu’on ne soit pas obligés de s’entasser dans le T3 en pleine canicule !

18h46 : Sur le chemin entre Grand Large et le stade, un mec avec un haut de forme aux couleurs de l’Angleterre et des habits aux couleurs de l’Angleterre vend des écharpes aux couleurs de l’Angleterre. On va discuter avec lui pour savoir de quel coin de l’Angleterre il vient et s’il a fait le trajet depuis l’Angleterre pour l’occasion. « No, I’m German. »

18h54 : Les supporters des USA font une file d’attente bien ordonnée devant le comptoir du Couëron. Tellement surprenant pour nous Français qu’on n’ose même pas jouer des coudes en prenant un air innocent pour griller un maximum de monde.

18h57 : Un curieux paradoxe m’effleure l’esprit en regardant la carte du Couëron : le sandwich s’appelle « américain » en français alors que pas du tout en américain, et il est notamment constitué de frites qui s’appellent « French fries » en américain alors que pas du tout en français. Dire que sans cette file d’attente je n’aurais sans doute jamais eu cette révélation.

19h36 : Arrivée sur le parvis. Une stadière écarte les bras pour demander à une supportrice des USA qu’elle est en train de fouiller de faire la même chose. Celle-ci ne comprend pas la consigne et lui fait un hug. Truc le plus américain que j’ai vu de ma vie.

19h49 : Après avoir grimpé jusqu’au troisième anneau du Parc OL (et avoir pigé au nombre de stickers marseillais que notre bloc était situé dans ce qui fait office habituellement de parcage visiteurs), nous faisons face à des portes fermées selon les paps qui tentent de les ouvrir. Personne n’a vraiment envie de se retaper toutes les marches dans l’autre sens pour aller chercher un stadier, mais quelqu’un arrive finalement à ouvrir la porte en forçant. Et le super-héros du soir n’est même pas américain. « Ça fera 10€ par personne ! » Un trait d’humour bien français, qui sous des dehors potaches n’hésite pas à dénoncer l’inexorable engrenage dans lequel le foot-business a mis le doigt (fuck les 3€ de la navette !).

20h31 : Compo anglaise, avec Lucy Bronze en vainqueure à l’applaudimètre. Du moins jusqu’à la compo adverse, où chacune des onze Américaines est accueillie par des cris stridents. Mention spéciale à Alex Morgan, qui pourra elle aussi compter sur le soutien des Lyonnais même si l’on se souvient de plus de photos d’elle en bikini dans Sports Illustrated que de grands matchs de sa part sous le maillot de l’OL.

20h47 : Les supporters américains font un AHOU en remplaçant le « AHOU » par « USA ». Et Laurent Mourguet il est né dans le Tennessee aussi tant qu’on y est ?

21h03 : Trois minutes de jeu et je me rends compte que le jeune couple d’Américains devant moi ne va pas me rendre le match facile. Elle (tête de vraie gentille genre pote à Phoebe dans Friends) se lève en effet dès que les USA entrent dans les 30 derniers mètres adverses et lui (tête de faux méchant avec son piercing dans le nez mais ses lunettes de comptable à la Dunder Mifflin Paper Company) l’accompagne dans ses hurlements. Qui sont souvent à contretemps du jeu.

21h10 : Les USA ouvrent le score avant le premier quart d’heure (comme d’habitude), grâce au premier but de Christen Press dans le tournoi. Les supporters avaient donc raison de lui faire confiance pour leur flocage. De façon incompréhensible, le couple devant moi s’est levé et a commencé à hurler au tout dernier moment sur le but alors que l’action était bien amenée et qu’on le sentait vraiment venir.

21h19 : Égalisation anglaise par Ellen White, qui rend comme d’habitude hommage à Anthony Modeste dans sa célébration. Pas besoin de rajouter une vanne.

21h31 : Alex Morgan remet les USA devant au tableau d’affichage et fait fermer quelques bouches de rageux qui évoquent toujours uniquement ses photos pour Sports Illustrated.

(Photo FIFA)

(Photo FIFA)

21h33 : Les supporters des USA souhaitent en chanson un « Happy Birthday » à Alex Morgan. Truc le plus américain que j’ai vu de ma vie.

21h40 : Carton jaune pour Millie Bright (qui a vraiment une dégaine d’Anglaise typique qui se déchire en boîte avec ses copines – toutes en mini-jupe – avant de vomir dans une ruelle à côté d’un vindaloo plus tard dans la nuit : non mais sérieux ça existe ailleurs qu’en Angleterre sa coiffure ?) fêté comme un but par les supporters des USA. C’est vrai que ça fait dix minutes qu’il n’y en pas eu et qu’on commençait un peu à s’ennuyer, mais ça n’en reste pas moins le truc le plus américain que j’ai vu de ma vie.

21h53 : Petite animation à la pause : les lumières du stade s’éteignent et laissent place à une constellation de téléphones portables. Coup d’œil vers la tribune de presse, où trois ou quatre journalistes jouent le jeu. Sans doute des Américains.

22h09 : Les supporters des USA hurlent pour une touche anodine. Truc le plus américain que j’ai vu de ma vie.

22h24 : La pote à Phoebe lève les yeux au ciel et joint ses mains en signe de prière après le but refusé par le VAR à Ellen White pour un hors jeu millimétrique. Truc le plus américain que j’ai vu de ma vie.

22h38 : La pote à Phoebe se lève et interpelle tout le bloc après la faute dans la surface des USA signalée par le VAR. « Anybody knows what the penalty was for ? » avec une voix de crécelle. Truc le plus américain que j’ai vu de ma vie.

22h38 : Pas le temps de checker sur mon téléphone comment « Lionesses » s’écrit et trop peur de faire une faute d’orthographe. Tant pis, je ne fais pas ce tweet « PENALTY POUR LIONESSES ! » qui aurait pourtant pu remonter le moral de nos amis marseillais en cette période difficile où ils se rendent compte que recruter uniquement des trentenaires avec des salaires démentiels n’était pas un business plan tenable sur le long terme (mais qui aurait pu le voir venir ?).

22h39 : Sur le papier, le calcul que je fais pendant que Steph Houghton se concentre semble imparable : penalty décisif + Angleterre + défenseur(e) central(e) = ballon envoyé trois mètres au-dessus de la transversale. Mais la capitaine des Lionesses (je profite du fait de l’avoir googlisé récemment et je le colle partout) décide de me surprendre et d’envoyer plutôt une passe toute molle dans les gants d’Alyssa Naeher. Tu m’as bien eu, Steph.

NaeherPenalty

(Photo FIFA)

22h42 : Expulsion de Millie Bright. Juste à temps pour se doucher, s’habiller en vitesse et arriver au Boston pour l’enchaînement Vengaboys-Macklemore-madison.

22h43 : Des spectateurs partent à deux minutes de la fin du temps réglementaire, comme en Ligue 1 sauf que là un seul but suffit à rajouter 30 minutes de prolongation. On leur demanderait bien des explications, mais c’est comme les gens qui se sentent toujours obligés de défendre Bruno Genesio en juillet 2019 : moins on leur parle, mieux on se porte.

22h45 : Les supporters des USA poussent des hurlements parce que les deux joueuses qui s’apprêtent à tirer un corner court pour perdre du temps leur réclament. Truc le plus américain que j’ai vu de ma vie.

22h49 : Dans le money time, Demi Stokes s’apprête à jouer une remise en jeu, se ravise, retient son geste… mais lâche le ballon. Mauvaise touche, le ballon est rendu aux Américaines. Truc le plus anglais que j’ai vu de ma vie (hors penalties ratés et rouquins aux oreilles décollés).

22h56 : Les « U ! S ! A! U ! S ! A ! » et autres cris stridents fusent dans les escaliers du Formidable Outil. Et si je frémis déjà à l’idée du trajet retour, ce n’est pas en pensant à la chaleur ou à la promiscuité, mais à la joie de ces centaines d’Américains qui partageront avec moi les transports en commun. C’est combien les Uber jusqu’au centre-ville ?

Le résumé vidéo
d’USA-Angleterre

Hugo Hélin

(Photo Marion Dupas / Le Libéro Lyon)

Commenter

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>