Somalia, c’est pas le Brésil

Somalia

INCULTURE FOOT. En ces temps troublés par la montée des extrêmes et de leurs valeurs, combattons les clichés : l’Allemagne ne gagne pas toujours à la fin, les Italiens ne sont pas tous truqueurs, les footballeurs français se lavent après les matchs et certains Brésiliens sont nuls au foot. Né à Rio de Janeiro, Somalia joue pourtant au Toulouse FC.

À sa naissance le 20 septembre 1988, il mesure 1m65 pour 73 kilos. C’est écrit : le petit Wergiton do Rosario Calmon ne deviendra pas un artiste. Il n’apprend à marcher qu’à trois ans, là où ses coéquipiers de la crèche savent déjà dribbler à six mois. Son père, un notable éclairé, député de la gauche progressiste et chroniqueur au Bondinho Blog, combat le déterminisme social. Il souhaite que son enfant s’affranchisse des conventions et suive son propre chemin. Au Noël 1993, il lui offre un ballon troué ainsi qu’un maillot déchiré de Francis Llacer : « Tu es peut-être Brésilien, mais tu seras un joueur de merde, mon fils. »

Il l’inscrit dans un club amateur, demande au coach de l’aligner latéral droit et lui gueule dessus dès qu’il réussit une passe. Cette éducation stricte – inspirée du tennis féminin – est censée donner à Wergiton les clés pour se débrouiller seul dans le monde impitoyable du sport de haut niveau. Plutôt que de l’envoyer dans la meilleure école privée de la ville, il l’abandonne ainsi, à neuf ans, dans une favela. Sur ces terrains de poussière où les enfants se battent – littéralement – pour déterminer qui jouera attaquant, Wergiton est volontaire pour rester en défense. Risée du bidonville, mis à l’écart des groupes, l’adolescent se distingue de la masse. N’est-ce pas le plus beau cadeau qu’un père puisse faire à son enfant ?

Durant ses essais en Europe, il déçoit les clubs qui s’attendent à tomber sur un dribbleur. Le solide gaillard n’a rien d’un Brésilien : il ne s’écroule pas au sol après un duel à l’épaule, n’aime pas sortir et n’est pas bisexuel. Les stéréotypes ont la vie dure, mais Wergiton assume sa singularité en publiant son manifeste pour l’égalité des chances, Je suis comme je suis !, un slogan bientôt repris par des marques de cosmétiques et plus d’un millier de bios Twitter de filles moches. « Peu importe l’endroit d’où l’on vient, le droit à la médiocrité est universel », plaide celui qui se promet de poursuivre la lutte au nom de tous les footballeurs opprimés.

En 2010, la sortie de l’iPhone 4 le contraint à changer ses plans : confronté à un impératif besoin d’argent, le militant renie ses idéaux afin de décrocher un contrat. Il ruse en prenant comme pseudonyme un pays africain, se reconvertit en milieu offensif puis signe en Hongrie, à Ferencvaros, comme l’aurait fait n’importe quel joueur ivoirien berné par un agent véreux. Avec un taux de passes réussies de 42 % dès sa première saison et plusieurs occasions manqués lors du derby face à Ujpest, il séduit rapidement les recruteurs de Ligue 1. Somalia évolue à Toulouse depuis 2015 mais il continue d’afficher sa différence, semaine après semaine, grâce à des statistiques toujours plus épatantes : un but marqué en trois ans, trois passes décisives en quatre-vingt apparitions. À ce jour, personne au club ne se doute qu’il est Brésilien.

Florian Bifflard

(Photo Toulouse FC)

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