Lyon 1918, sur la tombe du football méconnu

FC Lyon 1918

CENTENAIRE. Au début du XXe siècle, les associations sportives prolifèrent à Lyon et, toutes les semaines, l’Éveil de Lyon, le CS Terreaux, l’AS Lyonnaise, le LOU et le FC Lyon rivalisent dans le championnat du Lyonnais, la Coupe de la Guerre, la Coupe du printemps. En 1918, c’est presque un bataillon entier de clubs lyonnais qui part à la conquête de la première édition de la Coupe de France. Tel un recueillement sur la tombe d’un football méconnu, retour sur les balbutiements du foot lyonnais et sur l’une des plus belles pages de son histoire.

1- Revue des troupes lyonnaises, 1890-1918

Durant les deux premières décennies du XXème siècle, les licenciés lyonnais ne sont que quelques centaines mais les structures sportives se multiplient dans la Capitale des Gaules. Depuis les années 1890, une bonne dizaine de clubs lyonnais font parler d’eux au niveau national. Les matchs ont lieu route d’Heyrieux (actuellement avenue du Professeur Paul-Santy, au stade de la Plaine aujourd’hui stade Vuillermet) mais aussi à Villeurbanne, au stade des Iris, au stade de la Viabert ou encore au terrain des Charmilles à Montchat.

Le Football Club de Lyon est le club doyen de l’agglomération. Il est fondé en novembre 1893 par huit étudiants du lycée Ampère qui souhaitent organiser leur passion sportive en pratique structurée. Ils arborent un damier rouge et blanc, ils courent, ils sautent et ils tapent dans les ballons rond ou ovales sur la Pelouse des Ebats du parc de la Tête d’Or. La section football est officiellement créée en 1896. En mai 1907, le Club s’installe au 306 route d’Heyrieux, jusqu’alors occupé par le Lyon Olympique. Le stade de Plaine devient le haut lieu du football de l’agglomération. À l’aube de la saison 1917-18, le FCL est, avec cinq titres de championnats du sud-est et trois titres de championnats du Lyonnais, le club le plus titré de la ville.

En 1896, le Racing Club de Lyon est fondé, lui aussi, par des étudiants membres de l’union sportive du Lycée Ampère. Par opposition au FCL, les racingmen jouent en rouge et noir. En 1900, Jean Burnichon, licencié au FC Lyon, devient le président du Racing, immédiatement renommé le Lyon Olympique. Il l’installe Route d’Heyrieux sur les terrains du futur stade de la Plaine. Chassé par le FCL, le LO déménage, en 1907, à Villeurbanne au Stade des Iris. Trois ans plus tard, l’Association Sportive de l’Ecole Centrale de Lyon rejoint le Lyon Olympique. Cette fusion donne naissance au Lyon Olympique Universitaire.

Dans un premier temps nommée l’Amicale, l’Association sportive Lyonnaise est fondée en 1901 par des jeunes de la Guillotière qui se retrouvaient sur les terrains de Gerland pour pratiquer le football, le rugby et les activités athlétiques. Les joueurs de l’AS Lyonnaise jouent avec un maillot de couleur grenat. Le Club Sportif des Terreaux se développe dans les années 1910. Il évolue sur le terrain des Charmilles, à Montchat, dont les vestiaires se situent juste derrière la Place Ronde. L’Éveil de Lyon est fondé en 1911, aux Brotteaux, par des frères dominicains de la paroisse du Saint-Nom-de-Jésus, sa section football évolue au Stade de la Viabert, à Villeurbanne. On retrouve également dans les compétitions de football lyonnais des années 20 l’Union Sportive Saint-Bruno, le club de la Croix-Rousse.

Le Football Club de Lyon en 1906.

Le Football Club de Lyon en 1906. (BNF)

2- 1918, l’apogée du football lyonnais

En 1917, les instances naissantes du football français tentent d’imposer une nouvelle compétition nationale sur le modèle la Cup anglaise. Les dirigeants du Comité Français Interfédéral (la FFF de l’époque) la nomment Coupe Charles Simon pour rendre hommage au fondateur dudit comité, tombé au champ d’honneur dans les tranchées du Pas-de-Calais en 1915. Quarante-huit clubs s’opposeront lors de cette première édition en 1917-1918. Quatre associations lyonnaises s’engagent (le FC Lyon, l’AS Lyonnaise, le LOU et le CS Terreaux) contre une vingtaine d’équipes franciliennes. Les clubs du Nord et de l’Est, situés derrière la ligne de front, sont absents. Notons la présence d’équipes britanniques : la British Aviation Football Club et le London County Sports Club (club d’une banque installée place Vendôme). Les deux tomberont dès le premier tour, la première sur tapis vert, la deuxième contre le Paris Star. Le LOU et l’AS Lyonnaise entrent eux aussi en lice dans ces 32e de finale, le dimanche 7 octobre 1917. Les rouges et noirs débutent par une victoire 4-1 contre Dijon quand l’ASL se qualifie facilement sur les terres ligériennes de Saint-Chamond.

Un très long derby en 16e de finale

Au tour suivant les quatre clubs lyonnais sont engagés. Le 4 novembre, le CS Terreaux est éliminé par l’Olympique de Marseille et le LOU gagne son ticket pour les huitièmes de finale sur le terrain d’Auxerre. Mais le véritable fait marquant de ces 16e de finale est le derby très disputé entre l’AS Lyonnaise et le FC Lyon, emmené par Roger Ebrard, son emblématique capitaine. Le FCL et l’ASL se retrouvent le dimanche 4 novembre 1917 à 14h00 sur le terrain de la route d’Heyrieux. Le match est âpre, les deux équipes se livrent un combat acharnées et se retrouvent dos à dos, le score final est de 2-2.

Faudrait que quelqu'un trouve un moyen de jouer de nuit, ça faciliterait les choses et on pourrait faire des prolongations de plus de 5 minutes... (l'Auto du 6 novembre 1917)

Faudrait que quelqu’un trouve un moyen de jouer de nuit, ça faciliterait les choses et on pourrait faire des prolongations de plus de 5 minutes… (l’Auto du 6 novembre 1917)

Un nouveau match a lieu deux semaines plus tard au stade des Iris. Les deux clubs se neutralisent à nouveau, André Bellon pour le FCL répond à Fatiguet pour l’ASL dans des conditions climatiques épouvantables. Une troisième rencontre est donc organisée. Cette fois-ci, ce sera au stade des Charmilles à Montchat, et il y aura un vainqueur puisque des prolongations pourraient avoir lieu. Le dimanche 25 novembre marque donc la fin de cet incroyable duel. Les joueurs du Club prennent largement le dessus sur leurs rivaux de l’Association et l’emportent 5-0 grâce à un doublé de Paul Weber, deux buts d’André Weber et un but de Delaunay.

Des grandes lumières en haut de pylônes. Ce serait une bonne idée, non ? (l'Auto du 20 novembre 1917)

Des grandes lumières en haut de pylônes ! Ce serait une bonne idée pour jouer de nuit, non ? (l’Auto du 20 novembre 1917)

Le FC Lyon fait tomber l’OM (et le Stade Rennais)

Vous vous demandez souvent pourquoi les supporters de l’OM sont obsédés par l’appellation « FC Lyon ». Peut-être, sans le savoir, font-ils référence à ce huitième de finale de Coupe de France 1918 qui a opposé leur club au FC Lyon (le vrai) le dimanche 2 décembre 1917. Gênés par un fort mistral, les Marseillais ne parviennent pas à prendre la mesure d’une équipe lyonnaise très « cohérente » selon le journal l’Auto. Rigo, en tout début de match puis André Weber, au retour des vestiaires, offrent une victoire prestigieuse au FC Lyon, qualifié pour les quarts de finale. De son côté, le LOU ne parvient pas à déjouer les pronostics et est éliminé par l’Olympique de Pantin. Il faut dire que les Franciliens possèdent une équipe redoutable.

En quarts de finale, le FC Lyon affronte le Stade Rennais sur terrain neutre à Paris. Arrivés au stade seulement quelques minutes avant le coup d’envoi, les Lyonnais sont menés 1-0 à la mi-temps. Les joueurs du Club parviennent à égaliser grâce à un but de Bellon avant de prendre un avantage définitif à quinze minutes de la fin du match. Le FCL est qualifié pour les demi-finales de la Coupe Charles Simon. Il affrontera la grande équipe de l’AS Française, favorite de la compétition.

 

Le Parc de la tête d’or, cent ans avant le Parc OL

Le dimanche 3 mars 1918, le FC Lyon reçoit l’AS Française. Cette équipe est considérée comme l’une des plus fortes du pays. Elle compte dans ses rangs des internationaux de renom comme Hanot et Ducret et plusieurs pointures belges et britanniques. Pour l’occasion, le match est organisé au Parc de la Tête d’or sur la pelouse des Anglais (juste à côté de la roseraie) dans le cadre des festivités pour les œuvres de guerres et pour apporter un soutien aux poilus.

La présentation des joueurs du FC Lyon dans l'Auto du 2 mars 1918.

La présentation des joueurs du FC Lyon dans l’Auto du 2 mars 1918.

Les Lyonnais se sont déplacés en nombre pour assister au match etsont plus de 2000 à être venus soutenir les joueurs du FCL. C’est Henri Delaunay, lui-même, président du comité interfédéral (et plus tard à l’origine de la Coupe d’Europe des Clubs Champions, dont le trophée porte toujours son nom), qui arbitre la rencontre. Durant les premières minutes, les Parisiens dominent et ratent même un penalty. Henri Bard, un des internationaux du FCL, « d’un shoot formidable » (l’Auto du 5 mars 1918) inscrit le seul but de la rencontre et offre au Club une place en finale.

Le FCL tombe au champs d’honneur. Ebrard , médaille du fair-play.

La première finale de l’histoire de la Coupe de France a lieu le 5 mai 1918 à Paris, au stade de la rue Olivier-de-Serres. Les joueurs de l’Olympique de Pantin se présentent en bleu face à des Lyonnais qui arborent leur traditionnel damier rouge et blanc. Les premières minutes de jeu sont équilibrées et cette partie s’annonce indécise jusqu’à un fameux fait de jeu entré dans la légende du sport français. Le gardien parisien, René Découx, victime d’une rude charge d’André Weber, assène un violent coup de poing au lyonnais et est expulsé à juste titre.

Les finalistes du FC Lyon et leur maillot à damiers.

Les finalistes du FC Lyon et leur maillot à damier.

C’est alors que Roger Ebrard, capitaine du FCL, parlemente de longues minutes avec monsieur Bataille, l’arbitre de la rencontre, et obtient la réintégration de son adversaire pour, dira-t-il plus tard, « ne pas déséquilibrer le match et ne pas obtenir une victoire au rabais ». Geste de classe mais geste perdant. Les Parisiens finissent pas prendre le dessus et l’emportent 3-0. Ebrard, par son geste, fait entrer son club dans la légende de la plus ancienne compétition du football français. Un siècle plus tard, l’histoire a retenu le fair-play d’Ebrard bien plus que le score de cette première finale.

La seule photo connue de cette première finale de la Coupe de France, dans La Vie au grand air : revue illustrée de tous les sports du 1er juin 1918.

La seule photo connue de cette première finale de la Coupe de France, dans La Vie au grand air : revue illustrée de tous les sports du 1er juin 1918.

3- 1918-1950, les rebonds de l’histoire et le devoir de mémoire

Les lendemains de cette épopée ne sont pas très chantants. Les clubs lyonnais peinent à se structurer. Une trop forte concurrence, une politique sportive municipale d’inspiration hygiéniste qui encourage les associations omnisports et l’incapacité de se tourner vers le professionnalisme naissant retardent d’une trentaine d’année l’implantation définitive du football à Lyon. Le terreau était pourtant riche mais de cette belle aventure en coupe de France ne resteront que des regrets et des souvenirs.

Le FC Lyon ne fera jamais mieux que cette finale de 1918 mais il reste aujourd’hui le troisième plus vieux club français et demeure le poumon du sport amateur lyonnais avec des centaines de licenciés dans ses rangs. Il connaîtra également de nombreux succès grâce à ses autres sections. L’AS Lyonnaise continue d’exister sous le nom et les couleurs de l’ASUL. Le CS Terreaux est devenu le Rhône Sportif qui fournira au football lyonnais, bien des années plus tard, le plus talentueux des ses joueurs, Fleury Di Nallo. Enfin, le LOU reprendra le flambeau et deviendra le porte-étendard du football lyonnais.

Après bien des difficultés et les tentatives de professionnalisation de Jean Mazier dans les années 30, il faudra attendre la « sécession » de la section football du LOU et la création de l’OL en 1950 pour voir un club lyonnais intégrer l’élite et ramener enfin, en 1964, la Coupe de France à Lyon.

CS Terreaux - FC Lyon en 1921, sans doute au terrain des Charmilles à Montchat.

CS Terreaux – FC Lyon en 1921, sans doute au terrain des Charmilles à Montchat.

Alors, après avoir lu ces quelques lignes, si vous passez Avenue Paul-Santy, aux abords du stade Vuillermet, si vous traversez la Place Ronde ou si vous vous promenez aux abords de la roseraie du Parc de la Tête d’or, arrêtez-vous quelques instants et dites-vous qu’en ces lieux, il y a un siècle, des joueurs du Club, du LOU, du CS Terreaux et de l’AS Lyonnaise faisaient de Lyon une vraie vieille ville de foot.

phanou herko

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