Laurent Courtois : « Quand on te répète que tu es spécial, tu finis par le penser »

Olympique Lyonnais

ENTRETIEN. Vous n’avez jamais vu Courtois, ses 111 matchs de Ligue 1 et ses aventures qui valent le détour. Nous non plus. Mais comme on s’est souvent entendu dire qu’on aurait dû, on a fini par le rencontrer. Avec une idée derrière la tête : celui que tant de monde tient encore comme un des plus brillants techniciens issus de la formation a pu passer à ce point à côté de l’OL, et inversement ?

Quand on le retrouve, il fait déjà autre chose : des fiches techniques bien noircies, des stats plein l’ordi et une nouvelle carrière qui s’ouvre. On ne le sait pas encore, mais c’est aussi l’histoire de l’interview qui va s’en trouver transformée. Où, à 36 ans, le joueur est en train de céder la place à l’éducateur. Comme d’autres avant nous, on l’a laissé faire. On a bien fait.

 

« On bat l’OL 4-2 à Vaulx. Je marque les quatre buts »

Quand on demande aux joueurs de ta génération comme à tes anciens formateurs qui a pu les marquer, c’est bien souvent ton nom qui revient…

C’est forcément hyper flatteur de la part d’éducateurs et de joueurs avec lesquels j’ai pu jouer. D’autant plus que je ne fais pas partie de cette génération qui remporte la Gambardella en 1997 et qui a vu sortir huit pros. De ma promotion, les 1978, je suis le seul à être passé professionnel.

Tu arrives au centre à quel âge ?

Quand j’arrive, je vais avoir 14 ans. Le premier nom et le premier visage que j’associe alors au club, c’est celui d’Alain Thiry. Ce qui rend mon retour au club forcément particulier (Alain Thiry est décédé le 28 janvier, ndlr). Et ce d’autant plus que je reviens avec une équipe de gamines de la même catégorie d’âge que la mienne quand je suis arrivé ici. Je vois aujourd’hui tout ce à quoi elles peuvent être confrontées, tant au niveau familial que scolaire. Tu te rends compte qu’à 14 ans, t’es un peu perdu.

Tu arrives dans quelles conditions ?

Je faisais partie d’une génération à Vaulx-en-Velin qui battait régulièrement l’OL. Ma dernière année, on les bat 4-2 à Vaulx. Je marque les quatre buts. Ça a été le déclic pour la suite.

Aujourd’hui, ça paraît presque tardif d’intégrer le centre à quatorze ans. Surtout quand on vient du coin.

« À 17-18 ans, José Broissart m’intègre avec le groupe de CFA, je fais une super saison. L’année suivante, je plafonne. La galère : je suis aux portes du monde pro et je ne sais pas de quel côté l’histoire va basculer »

C’est vrai que tout se fait de plus en plus tôt. Depuis, on s’est surtout rendu compte que pour qu’il y ait une réussite sportive sur le long terme, il faut que les jeunes viennent de la région. Quand on retire un petit de son contexte familial trop tôt, même si c’est un petit phénomène, s’il n’a pas la maturité suffisante et un contexte qui lui permettent de s’exprimer au mieux, on sait que ça ne passe pas. Ce qui permet de comprendre pourquoi la détection a eu tendance à se concentrer sur la région Rhône-Alpes et autour de Lyon pour pouvoir aussi intégrer des jeunes plus tôt.

Quand tu arrives au centre de formation à 14 ans, ton objectif est déjà d’être pro ?

À ce moment-là, il n’y a déjà plus que le foot. D’autant que j’ai 14 ans, que je suis à l’OL et que je commence à m’entendre dire que je suis spécial. Forcément, je commence à y croire. Ce qui devient ensuite un problème. À 17-18 ans, José Broissart m’intègre avec le groupe de CFA, je fais une super saison. L’année suivante, je plafonne. La galère : je suis aux portes du monde pro et je ne sais pas de quel côté l’histoire va basculer. Je vois bien qu’il me manque quelque chose et que je ne suis pas prêt pour tout. Mais je ne parviens pas à situer précisément ce qu’il me manque. La pression est importante. Je veux assurer pour la famille, pour les amis qui te considèrent désormais d’une certaine manière, pour les éducateurs qui t’ont toujours apprécié.

 

« Où je dois passer d’Upton Park au Stade Parmentier »

Tu pars à vingt ans de Lyon. Par manque de patience ou parce que tu sens que c’est le moment de partir ?

J’ai vu que ma chance ne me serait pas donnée sur le long terme avec les pros. Du coup, je me suis dit qu’il vaut encore mieux m’aguerrir en prenant la route de la Ligue 2. Je suis prêté à Ajaccio où je rencontre des gens extraordinaires : Michel Moretti – que je regrette – et Baptiste Gentili qui m’accompagne quasiment comme un père, autant sur le terrain qu’en dehors. Sportivement, c’est un changement radical pour moi. C’est sans doute l’électrochoc qui me manquait pour que je me prenne enfin en main. La saison suivante, je suis à nouveau prêté à Toulouse qui rachète mon contrat. C’est là que les affaires se gâtent : problèmes administratifs, double rétrogradation. J’explique alors au président Sadran que je me vois d’autant moins jouer en National que je peux tenter ma chance en Premier League.

À West Ham où tu pars retrouver Frédéric Kanouté.

Il savait que West Ham cherchait un milieu gauche. L’entraîneur, Glenn Roeder, était intéressé par mon profil. J’ai sauté sur l’occasion pour faire un essai et ça a marché. Pendant un an et demi, je me retrouve derrière Joe Cole, Michael Carrick, Jermain Defoe, Kanouté, Di Canio et d’autres. J’ai 22 ans et, pour moi, ce n’est pas normal de passer derrière tous ces internationaux.

Un joueur comme Carrick, rien ne laisse entendre la carrière qui sera la sienne par la suite ?

« Levante, c’est surtout une histoire qui vire au drame humain quand le club dépose le bilan et qu’on m’annonce que je perds non seulement les quatre années de contrat, mais que je dois également rendre à la banque ce que j’ai perçu les dix-huit mois précédents »

Je vois bien que les jeunes Anglais ont un statut à part, dans la façon dont ils sont perçus au sein du club, dans les contrats aussi. Ces gamins de 20 ans sont des pépites pour le club, que ce soit pour construire un projet sur le plus long terme ou pour devenir des internationaux qui pourront être revendus au prix fort. À leur manière, ce sont les Ben Arfa et Benzema de Premier League. Au final, je ne joue que six matchs et je reprends la direction de la Ligue 2. Où je dois passer d’Upton Park au Stade Parmentier à Istres, alors dernier de Ligue 2.

Là, tu rencontres Mécha Bazdarevic une première fois.

C’est un des entraîneurs dont je garderai toujours un excellent souvenir, tant pour sa pertinence technique que pour la dimension humaine. Il ne faut pas oublier qu’il a permis à Istres de goûter à la Ligue 1 ce qui, je pense, n’arrivera plus jamais. C’est lui qui me tendra à nouveau la main avec Grenoble après mon départ de Levante.

À Levante, tu découvres la Liga. On se dit que le championnat est taillé pour ton jeu.

En arrivant, je m’attends au tiki taka. Dans les faits, les coachs que je rencontre nous demandent surtout de faire déjouer l’adversaire. Il faut bien défendre pour pouvoir contre-attaquer. Repérer le joueur qui sera le plus nerveux pour obtenir des coups de pied arrêtés ou un second carton jaune. Après, Levante, c’est surtout une histoire qui vire au drame humain quand le club dépose le bilan et qu’on m’annonce que je perds non seulement les quatre années de contrat, mais que je dois également rendre à la banque ce que j’ai perçu les dix-huit mois précédents. Il est parti cet argent ! La moitié dans de la merde, l’autre moitié dans des investissements foireux.

Juridiquement, il n’y avait rien à faire ?

On a fait tout ce qu’on a pu. On a sollicité l’UNFP espagnole. Mon capitaine de l’époque, Rubiales, en a d’ailleurs pris la tête depuis. Et Damiano Tommasi, un Italien qui venait de la Roma, préside l’UNFP italienne. Ce qui donne un peu une idée du traumatisme.

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Laurent Courtois sous le maillot de Chivas USA, club dans lequel il a joué pour la première fois dans l’axe. À 33 ans. (Photo Chivas USA)

 

« Je sors deux passes décisives contre le Real »

Il y a des matchs où tu parviens quand même à te mettre en évidence.

Pour mon dernier match avec Levante, je sors deux passes décisives contre le Real. Au final, on perd quand même 4-2. C’est un peu l’histoire des équipes qui, comme Lorient ou Reims, jouent Paris, Lyon et doivent sortir le match de l’année. On se dépasse, mais on finit quand même par perdre… (Sourire)

Tu poursuis à Grenoble où, après Istres, tu vivras aussi l’une des pires saisons de galère pour un club en Ligue 1.

Après Levante, il fallait que je retrouve un peu de stabilité. Ce que j’ai pu obtenir à Grenoble, aussi bien au niveau sportif que familial. On vit certes une dernière année compliquée avec descente et double rétrogradation. Si je ne me fais pas les croisés et s’il n’y a pas les problèmes administratifs par-dessus, je me vois rester plus longtemps au GF38.

Quand tu te retrouves ensuite en MLS, c’est une opportunité ou c’est toi qui vas frapper à la porte ?

C’est un ami qui me parle d’une franchise, à Salt Lake, à la recherche d’un joueur à mon poste. Comme je suis encore à Grenoble et qu’on est en train de disputer un quart de Coupe de France, qu’on est parti pour se maintenir et que tout se passe bien, je décide de ne pas donner suite. L’année suivante, après m’être fait les croisés, je me dis que j’ai besoin de changer d’air. Et je débarque finalement à Chivas USA, la franchise californienne de Guadalajara.

La Californie, c’est quand même mieux que l’Utah, non ?

Je l’ai compris après. (Rires) Sur le coup, je dois t’avouer que c’était Kansas ou Colorado, je sautais quand même dessus.

« Aujourd’hui, si je repère un bon petit gaucher, je vais avoir tendance à lui demander de dépasser le ‘déborde, centre et replace-toi’ que j’ai pu entendre pendant ma carrière »

Quand tu arrives à Chivas, le projet a l’air plutôt ambitieux.

Sur le plan sportif, les techniciens en place veulent mettre en place un milieu en losange. Pour la première fois, un coach ne me voit plus seulement comme un joueur de couloir. Ce que confirment les séances d’entraînement qui restent parmi celles où j’ai pris le plus de plaisir. Que ce soit avec Griezmann à l’Atletico ou avec Messi au Barça, on a compris tout l’intérêt qu’il y avait à faire venir des joueurs de couloir dans l’axe pour en faire des joueurs plus complets. En jouant à droite une première fois à Grenoble, j’ai découvert des aspects de mon jeu que je ne soupçonnais pas : je pouvais soit passer, soit crocheter, soit revenir, soit tirer. J’avais enfin l’impression d’être un joueur. Aujourd’hui, si je repère un bon petit gaucher, je vais avoir tendance à lui demander de dépasser le « déborde, centre et replace-toi » que j’ai pu entendre pendant ma carrière…

Pourquoi le projet ne prend pas à Chivas ?

Je découvre un contexte particulier, autour de la question de l’identité mexicaine du club. D’un côté, les Américains trouvent les Mexicains particuliers quand, de l’autre, les Mexicains sont persuadés que les Américains ne veulent pas d’eux. C’est d’autant plus étrange que le reste de la société américaine ne raisonne pas de cette manière.

Mais sur le terrain, ça semble plutôt bien se passer pour toi, non ?

Je suis considéré comme le joueur qui est passé par tous les championnats européens et qui doit les faire décoller. Autrement dit, celui qui prend une plus grande partie du salaire que les autres. En MLS, la Ligue donne à chaque franchise une somme qu’elle doit répartir entre les différents joueurs. Si elle donne la majeure partie du gâteau à deux joueurs, elle doit ensuite composer avec ce qui lui reste pour compléter son effectif. Ce qui peut être à l’origine de bien des frustrations. Trois mois après mon arrivée, mon ménisque saute sur une mauvaise charge. Je continue à jouer un mois comme ça en voulant rendre service. Au final, je ne suis pas bon et je manque d’y laisser mon genou. Au point que le médecin du club m’annonce que je dois arrêter le foot. Ce que conteste le chirurgien que je consulte en France. En fait, la franchise voulait en profiter pour faire sauter mon salaire. Je reviens, plutôt en forme, mais un entraîneur mexicain arrive avec l’idée de construire son équipe autour d’une identité exclusivement mexicaine. Les résultats sont mauvais et il se fait virer. La saison terminée, je pars m’engager avec LA Galaxy pour les six mois suivants.

Où tu joues peu…

Je me retrouve derrière Landon Donovan et Robbie Keane.

Ils sont sur ton poste ?

Comme tous les joueurs trentenaires, ils doivent gérer un peu plus leurs efforts. Il faut donc de la jeunesse autour d’eux pour compenser. Je deviens un genre de joker pour les matchs de Ligue des Champions CONCACAF. À l’intersaison, on me propose de devenir joueur et coach assistant pour l’équipe B qui est en train de se monter.

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Hatem Ben Arfa et Laurent Courtois lors d’un OM-Grenoble en 2009. La filiation entre les deux est évidente. (Photo GF38)

« Il m’a manqué certains outils au moment de passer pro » 

S’ils te choisissent, c’est pour ta formation française ?

C’est surtout qu’ils veulent créer une équipe B pour l’équivalent de la Ligue 2 et qu’il est encore trop tôt pour lancer des joueurs de 18 ans comme titulaires. Ils avaient donc besoin de joueurs de mon niveau d’expérience pour encadrer ces jeunes-là. De mon côté, ça me donne une première opportunité de coacher et d’encadrer. C’est comme ça que j’en suis arrivé à l’idée qu’il fallait que je profite de cette année pour venir me former en France, pour apprendre à devenir éducateur à mon tour.

Si tu te retrouves aujourd’hui avec les filles de l’OL en U15, c’est parce qu’il y avait une opportunité ou parce que tu as aussi la culture US du soccer féminin ?

Les deux. Du côté des garçons, il y avait déjà beaucoup de monde en place. Du coup, les filles, ça a été une opportunité. D’autant que j’ai vu comment elles étaient perçues aux États-Unis, où le rapport est inversé.

Qu’est-ce que ça change dans ton approche d’éducateur de bosser avec des filles de quinze ans ?

Dans mon groupe, les niveaux sont très hétérogènes. Il y a des filles qui ont deux ans d’écart, avec des différences importantes tant au niveau de la croissance que de la scolarité. Ce qui peut avoir des implications assez sensibles dans le rendu sur le terrain. C’est à la fois une difficulté au quotidien, mais c’est suffisamment enrichissant pour être formateur. D’autant plus que je les découvre en me revoyant à leur âge, au moment où j’arrive au centre. Je vois des parents un peu perdus, ce qui me fait penser aux miens. T’es à l’OL, mais ça ne se passe pas très bien à l’école… Tu ne sais pas quoi faire. C’est pas simple.

À t’entendre, on a comme l’impression que tu te vois comme un « petit con »…

« Si je compare avec mes années de formation, j’ai l’impression qu’on m’a versé toutes les pièces d’un puzzle géant que je commence seulement à remettre en place »

Quand on te répète tout le temps que tu es spécial et qu’on te le fait sentir, tu finis par le penser en te disant que tu as plus de droits que d’autres. C’est pour ça qu’il m’a manqué certains outils au moment de passer pro. Aujourd’hui, quand un jeune n’a pas ces compétences, on voit ce qui peut être mis en place pour l’aider à progresser. Si je compare avec mes années de formation, j’ai l’impression qu’on m’a versé toutes les pièces d’un puzzle géant que je commence seulement à remettre en place. La formation est devenue tellement précise – certains disent trop – que ça devient jouissif de pouvoir aller toujours plus loin dans les procédés d’entraînement. En ce moment, on s’intéresse beaucoup à la réussite des pros, mais ce qui se fait chez les 8, 10 ou 12 ans, c’est déjà du haut niveau. Or c’est justement ce qui prépare la suite.

Concrètement, ça se manifeste comment ? On parle de quels outils ?

C’est de l’éveil tactique dans sa globalité. C’est du travail spécifique disséqué poste par poste, toujours dans le cadre d’une compréhension collective. Comment faire naître des dispositions tactiques, différencier les temps de jeu et faire en sorte que tout le monde parle le même langage – dans les reconnaissances de situation, notamment. Un peu à la façon du Barça, on veut aujourd’hui former des joueurs qui ont une personnalité. Pas seulement parce que, à l’arrivée, les meilleurs sont des joueurs de personnalité, mais aussi parce qu’on a besoin de joueurs qui rentrent dans un cadre où le collectif prime. L’objectif n’est plus de sortir un Messi tous les cinq ans.

Pourtant, on continue à perdre des « pépites »…

Peut-être. Et on en perdra toujours. Mais en se disant qu’on en récupèrera d’autres, notamment des moyens qui vont pouvoir devenir très bons. C’est d’ailleurs ce souci de se réinventer que je découvre depuis que je suis arrivé ici. Je m’attendais à trouver un club qui a tout gagné et qui pourrait se reposer sur son savoir-faire. En assistant aux différentes réunions, tant dans les contenus que dans l’approche, je vois que tout le monde se remet tout le temps en question. Où le responsable de la formation est à l’écoute de ce qui se dit jusqu’à la base.

En vivant l’affaire de l’intérieur, tu situes plutôt une identité de jeu ou une identité de joueur dans la formation lyonnaise ?

On cherche davantage à développer une identité de jeu et de club. Chez les 8 ans comme chez les 15 ans, l’idée est d’amener tout le monde à posséder les mêmes repères. Si bien qu’une fois lancés, les joueurs arrivent plus facilement à s’intégrer et à éclore au maximum de leur potentiel.

Tu vois ça comme une forme de continuité dans le passage de relais entre les formateurs que tu as côtoyés et ceux qui sont arrivés ces dernières années ?

Que ce soit Maxence Flachez ou Stéphane Roche, tous ont été formés par les mêmes éducateurs – Armand Garrido, José Broissart. De ce point de vue, il y a clairement une continuité. Après, ils ont fait en sorte d’adapter les méthodes en fonction de leur sensibilité de sorte à pouvoir enrichir les contenus.

 

« Je dois apprendre à poser des questions plutôt que d’apporter des réponses »

Entre former des jeunes joueurs et coacher des professionnels, de quel côté te porte ta sensibilité ?

Pour le moment, je suis encore dans un moment où j’ai besoin de faire le tri pour savoir qui je suis en tant qu’éducateur.

Et tu le vois comment le coach Courtois ?

Pour l’instant, il est n’est pas très patient. (Sourire) Tu apprends d’ailleurs qu’il vaut mieux l’être sans quoi tu te mets vite tout le monde à dos. Ce qui me rassure, c’est que j’entends d’autres éducateurs qui me disent qu’ils sont eux aussi passés par là à leurs débuts. Et comme j’ai connu trop d’éducateurs et d’entraîneurs qui devenaient un bruit de fond à force de crier ou de parler, je n’ai pas envie de commettre cette erreur à mon tour.

Ce n’est pas trop difficile d’être formateur quand on est meilleur que ses joueuses ?

« À la limite, tout ce que j’ai fait ne sert à rien si je n’arrive pas à le faire comprendre à une gamine de 14 ans »

J’ai encore trop tendance à démonter et à apporter des solutions. Ce que je faisais instinctivement comme joueur, il faut que j’apprenne à le disséquer et à le traduire pour qu’une gamine puisse comprendre et faire par elle-même. C’est toute une méthode de formation que je dois mettre en œuvre. Autrement dit, je dois apprendre à poser des questions plutôt que d’apporter des réponses.

Au final, qu’est-ce qui prime ? Ta carrière ou ce que la formation est en train de te transmettre ?

J’ai la chance d’avoir un petit talent qui me permet d’exécuter pour pouvoir expliquer. Mais je ne veux pas faire l’erreur de beaucoup de joueurs qui, du haut de leur carrière, ont toutes les certitudes. À la limite, tout ce que j’ai fait ne sert à rien si je n’arrive pas à le faire comprendre à une gamine de 14 ans : quand faut-il déclencher telle ou telle situation ? Quels indicateurs permettent de comprendre qu’il faut soit venir décrocher, soit venir dans l’espace ? La perception des espaces et des temps de jeu, ça reste un terrain de foot et un ballon. Mais on s’aperçoit qu’il y a bien plus d’informations à prendre en compte. En ça, mon expérience de footeux peut avoir tendance à me desservir.

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« C’est peut-être parce que je suis encore dans l’apprentissage du métier, mais j’ai la naïveté de penser qu’on peut être plus ambitieux dans le discours. » (Photo LLL)

Autrement dit, tu dois encore t’éduquer pour pouvoir éduquer…

C’est une des raisons qui font que j’ai énormément de respect pour les éducateurs qui n’ont pas joué au foot. Dans 95 % des cas, on va trouver sur le papier les mêmes préparations de séance. Mais là où j’aurais tendance à apporter une solution à un jeune, un éducateur qui n’a jamais joué saura trouver un cadre qui, par son ajustement matériel ou par une simple consigne, va permettre la compréhension. Par exemple, en lui interdisant de joueur latéralement. Que va faire le joueur ? Il va comprendre qu’il est obligé de trouver des lignes de passes pour jouer vers l’avant ou en diagonal. Ce qui va également impliquer le mouvement qui va avec. Ça paraît tout bête, mais rien qu’en mettant deux plots à un endroit précis et en donnant une consigne, tu peux changer toute ta séance.

Ce qui nous ramène à l’idée que ce sont souvent les défenseurs qui font les meilleures carrières d’entraîneur parce qu’ils étaient peut-être moins doués techniquement.

« Maintenant que je regarde avec l’œil de l’éducateur, je me dis qu’on avait une sacrée génération à l’OL avec Job, Kanouté, Senoussi, Malbranque ou Hellebuyck »

Ou alors parce que les joueurs offensifs sont tellement dans la créativité qu’ils s’en remettent surtout à l’instinct. Quand les défensifs paraissent effectivement plus méthodiques et davantage portés sur l’anticipation. En ce sens, c’est peut-être plus facile pour eux au moment de passer entraîneur. Dans tous les cas, il y a des méthodes à apprendre. Hier, par exemple, mon équipe a joué contre une détection et on perd le match. Les filles jouent très bien, mais ma gardienne fait deux erreurs sur lesquelles on se prend deux buts. Au retour dans le vestiaire, elle se met à pleurer. Je sais qu’elle a eu l’impression de me décevoir. Je me retrouve donc avec une de mes meilleures joueuses en pleurs, alors que j’ai justement besoin d’elle pour remonter tout le monde. Là, je dois forcément remettre mon discours en question. Je me rends compte qu’entre ce que je pense avoir dit et ce que je dis, qu’entre ce que je dis et ce qui est entendu, les différences peuvent être considérables. Que ce soit dans mon comportement, dans mes intonations, dans le choix des mots, les regards ou les absences de regard – parce que les absences de regard aussi peuvent faire aussi mal.

Il y a des coachs qui dans ta carrière t’ont donné envie de passer de l’autre côté ?

Beaucoup parce qu’ils ont été dégueulasses et que je peux au moins faire aussi mal qu’eux. (Sourire) J’ai quand même eu un entraîneur en pro qui nous a dit : « Les gars, vous ne savez pas jouer au foot. Laissons leur le ballon et faisons en sorte de ne pas prendre de but. » C’est peut-être parce que je suis encore dans l’apprentissage du métier, mais j’ai la naïveté de penser qu’on peut être plus ambitieux dans le discours.

Et du côté des joueurs, quels sont ceux qui t’ont le plus impressionné, que ce soit dans le caractère ou dans le jeu ?

J’ai beau avoir côtoyé de sacrés joueurs – Di Canio, Savio, Juan Pablo Angel, Robbie Keane, Joe Cole, Carrick ou Defoe –, maintenant que je regarde avec l’œil de l’éducateur, je me dis qu’on avait une sacrée génération à l’OL avec Job, Kanouté, Senoussi, Malbranque ou Hellebuyck ! Il m’arrive encore de revoir Job pour des five. Quand je vois ce mélange d’agilité et de puissance… À bientôt 40 ans, ce sont encore les copains de ma génération auxquels je trouve finalement le plus de qualités.

Propos recueillis par Pierre Prugneau et Serge Rezza

(Photos Pierre Prugneau – Le Libéro Lyon)

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