Bruno N’Gotty : « Quand on est de Lyon et qu’on joue à l’OL, on ne peut que réussir »

Olympique Lyonnais

SOUS L’HORLOGE. On lui a conseillé de cacher son diabolo menthe pour la séance photos. Il a rigolé. « J’ai pourtant joué beaucoup de derbys, mais moi, le vert ne me donne pas des boutons, comme disait Raymond. » Il est comme ça Bruno N’Gotty. Les rivalités, les polémiques, très peu pour lui. Le football est une passion qu’il vit pour le jeu, par le jeu.

« J’aime regarder les grands matchs. Il n’y en a pas trop en Ligue 1, à part avec les trois de devant. » Les trois leaders actuels : l’OL, le PSG et l’OM. Les trois clubs dans lesquels Bruno N’Gotty a évolué en France. C’était bien la preuve qu’il était le moment d’aller rencontrer « Nounours », comme l’appelaient affectueusement les supporters lyonnais, il y a deux décennies. Il y a vingt ans, justement, celui qui est considéré comme le meilleur défenseur issu du centre de formation quittait l’OL, sur une saison exceptionnelle, restée dans la mémoire collective lyonnaise. C’était l’époque de Jean Tigana, du trio N’Gotty-Maurice-Gava. C’est de tout cela, de sa carrière, de la formation lyonnaise, de l’équipe actuelle, dont nous voulions parler avec lui. Alors, on est allé le voir à Belleville-sur-Saône, là où il a définitivement raccroché les crampons, la saison dernière. En Honneur Régional. À 43 ans. La passion du jeu, toujours. Et celui qui passe actuellement ses diplômes d’entraîneur s’est longuement confié, tout en douceur, à l’opposé de ses frappes de mule qui ont laissé de douloureux souvenirs à quelques infortunés gardiens.

 

« L’encadrement est quasiment toujours le même qu’à mon époque ! »

Paraît que t’es allé faire un petit tour à Tola-Vologe il y a quelques jours ?

Souvent, je passe au club voir les anciens. Il y a les amis, les kinés dont je suis resté proches, ça fait du bien de voir un peu du monde. Là, j’emmenais ma nièce, qui n’avait jamais vu les joueurs de près. Elle ne les voit qu’au stade, donc, j’ai voulu l’emmener voir l’entraînement.

Tu as gardé beaucoup de contacts au sein du club ?

L’encadrement est quasiment toujours le même qu’à mon époque ! Bernard Lacombe, les gens du siège, beaucoup sont encore là. Il y a aussi Bruno Genesio ou Florian Maurice dans le staff. Ça fait plaisir de les voir.

L’OL, cela reste ton club ?

« Peut-être aussi que le vivier est bon à Lyon et que les recruteurs sont bons pour pouvoir identifier les potentiels. Mais c’est la motivation du joueur qui fait la différence »

Ça restera toujours un club à part pour moi. J’ai commencé à Lyon, c’est là que j’ai pris du plaisir, que j’ai eu la chance de progresser. J’ai poursuivi ma carrière ailleurs ensuite. Mais je suis devenu pro à Lyon, j’ai côtoyé le haut niveau à Lyon… Ça restera toujours mon premier club, celui qui m’a permis d’évoluer. Cela marque, forcément.

Quand tu vois l’OL en ce moment, ça doit te faire plaisir ? T’en penses quoi de cet OL 2014-2015 ?

Ça change. Moi, quand j’ai quitté Lyon, le club commençait à monter, en achetant peu à peu des joueurs de l’extérieur. Il a ensuite été sept fois champion en développant encore cela, en s’étoffant avec des joueurs qui lui ont permis de franchir un palier. Aujourd’hui, on revoit une équipe jeune, avec beaucoup de joueurs issus du centre de formation et qui a des résultats. La formation de Lyon a toujours figuré parmi les meilleures, mais c’est super de voir qu’en misant là-dessus, le club arrive à rester en haut de l’affiche.

Pourtant, d’après Guy Roux, l’OL n’a sorti personne de son centre depuis Govou et… toi !

Je n’ai pas trop suivi ça. Lui parlait peut-être de ceux qui ont eu une carrière internationale. Mais là, il y a Maxime Gonalons, par exemple, qui est vraiment l’âme du club et qui a tout pour aller très haut. Et puis, il y a beaucoup de joueurs qui sont encore jeunes et qui n’ont pas forcément eu le temps d’atteindre l’équipe de France A. Le centre de formation de Lyon est le meilleur en France. Guy Roux se trompe en ne citant que Sidney et moi.

C’est flatteur aussi, quelque part, que Guy Roux parle de toi comme d’un fleuron de la formation lyonnaise ?

J’ai eu la chance de percer à l’OL, de pouvoir jouer très tôt au haut niveau. C’est un peu « normal », entre guillemets, que Guy Roux s’en souvienne. Mais il y a beaucoup d’autres joueurs que l’on pourrait citer.

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Bruno N’Gotty a débuté avec les pros à 16 ans. À 18, il était titulaire pour le retour de l’OL en Division 1. (Photo FEP / Panoramic)

« Umtiti a le potentiel, mais il a encore des choses à prouver »

C’est quoi la force de la formation made in Lyon, selon toi ?

Je ne sais pas s’il y a un secret. Cela tient surtout dans l’envie des jeunes de vouloir progresser. À mon époque, il y avait des gens comme José Broissart (ex-directeur du centre de formation, ndlr) qui étaient passionnés de football et qui nous aidaient. Peut-être aussi que le vivier est bon à Lyon et que les recruteurs sont bons pour pouvoir identifier les potentiels. Mais c’est la motivation du joueur qui fait la différence.

C’est ta motivation qui t’a permis de percer ?

Moi, j’ai eu la chance d’habiter à Lyon. Forcément, en jeunes, on jouait beaucoup de matchs contre l’OL, nous, les équipes de quartier (1), donc il était facile d’être repéré si on était bon. Après, évoluer à Lyon, c’était forcément une fierté pour les joueurs qui y sont nés. Beaucoup de joueurs qui ont réussi à Lyon étaient originaires de la région. Il y avait sans doute plus de facilité à s’épanouir ici. Et puis, on voulait tous revêtir le maillot de l’OL en tant que professionnel. Un autre facteur, c’est que le club laisse sa chance aux jeunes. Beaucoup arrivent à jouer quelques matchs en pros et, après, ils s’affirment. Ailleurs, on ne laisse pas forcément cette chance aux jeunes.

Si je te dis « défenseur central, d’origine camerounaise, formé à l’OL », ça te fait penser à quelqu’un ?

« Tous les jours, on doit progresser et l’argent ne doit pas interférer avec ça. L’objectif, c’est de jouer dans les plus grands clubs, de gagner des titres »

Umtiti, je présume ? (Sourire) On m’en parle un peu de cette ressemblance. C’est un bon joueur. Il est un peu comme moi. Il a débuté tôt à l’OL, il a fait toute sa formation à Lyon. Il a le potentiel, mais il a encore des choses à prouver pour faire une belle carrière.

Tu le suis particulièrement ?

Pas plus que les autres. On a le même poste, mais depuis l’époque où je jouais, cela a beaucoup évolué. Il a sa carrière à faire, il faut qu’il la réussisse du mieux possible et je serai content pour lui. Ça n’apporterait rien de nous comparer.

Tu aurais tout de même un conseil à lui donner ?

De rester lui-même. Le football a évolué. La vie est plus facile pour les jeunes footballeurs. Le danger, c’est de privilégier l’argent et d’arrêter de travailler. Tous les jours, on doit progresser et l’argent ne doit pas interférer avec ça. L’objectif, c’est de jouer dans les plus grands clubs, de gagner des titres. C’était ça mon but. C’est ce qui permet de dire que tu as fait une belle carrière ou non. Là, Umtiti est encore au début. Il a réussi à devenir pro à Lyon, mais est-ce qu’il arrivera à partir et à s’imposer dans un top club ? On verra. À lui de tout faire pour y parvenir.

En tout cas, il pousse la similitude avec toi jusqu’à tirer les coups francs, de temps en temps…

Ça, les coups francs, c’est à force de les tirer, à force de les travailler… Quand on a une facilité sur une frappe ou dans un domaine, il faut l’utiliser. À lui de prendre conscience qu’il a une belle frappe, qu’il peut marquer, qu’il peut aider l’équipe avec cette arme. Il doit se persuader de cela et prendre l’initiative, sans avoir peur. Sa jeunesse n’est pas un problème. Il faut commencer petit à petit, mais il ne faut pas avoir peur d’y aller, de tenter. Ça ne rentrera pas à chaque fois, mais à force, il arrivera à en mettre.

 

« Tu te dis : ‘Je vais tirer de ce côté.’ Et, ensuite, ça rentre tout seul ! »

Les coups francs, c’était un peu ta spécialité. On se souvient de ces boulets de canon contre Bordeaux, contre qui tu mets un doublé, ou contre Monaco, en 1994 (2). Tu t’entraînais beaucoup ?

Oui, je travaillais. La façon de placer son pied, la façon de placer son ballon, de mettre son corps, etc. Ce n’est pas seulement le fait de tirer les coups francs qui peut t’aider à progresser. Il faut prendre des repères. Par exemple, quand tu fais une transversale, tu essayes de la mettre toujours au même endroit, toujours là, toujours là. Déjà, tu sais que ton tir est précis. Après, tu as juste à te focaliser sur la cage. Tu te dis : « Je vais tirer de ce côté. » Et, ensuite, ça rentre tout seul !

Tu étais un peu Juninho avant Juninho, quoi !

Je ne pense pas qu’il y ait de points communs. Lui, c’était… Il n’y a que lui qui peut raconter comment il tirait. Il prenait le ballon d’une façon et cela provoquait une trajectoire un peu (il mime)… qui zigzaguait. Il avait une façon de tirer que je n’aurais jamais pu reproduire, même en m’entraînant. Moi, c’était plus des frappes pures. Lui effectuait un vrai travail, avec un geste qu’il répétait très souvent à l’entrainement.

Il t’impressionnait ?

Complètement. Il n’avait pas besoin de frapper très fort, c’était juste la manière dont il frappait qui faisait la différence. Il arrivait à mettre une vitesse… Il pouvait marquer de n’importe où, même de 40 mètres.

Un coup franc qui n’est pas mal non plus et dont on doit tout le temps te parler, c’est celui de la finale de la Coupe des Coupes avec le PSG contre le Rapid de Vienne (3) ?

Oui, c’est sûr qu’on m’en parle, parce que c’est la dernière Coupe d’Europe remportée par un club français. Cela a marqué les gens. Mais cela va évoluer. J’espère qu’avec les Qataris, Paris gagnera bientôt des trophées européens. Après, c’est toujours sympa de savoir que l’on a marqué une époque, avec toute l’équipe. Paris, c’était au-dessus de tout le monde à l’époque.

D’ailleurs, ça t’énerve quand t’entends Zlatan dire qu’avant lui, il n’y avait rien à Paris ?

C’est une autre génération… Mais quoi qu’il arrive, rien n’effacera jamais les titres qu’a remporté Paris. Je sais ce qu’on a fait au club quand j’y étais. Mais je n’aime pas les polémiques. Maintenant, c’est totalement différent, il y a un nouveau Paris, voilà. Et puis, c’est Zlatan, c’est sa façon de parler. (Sourire)

 

« Si Capello reste, peut-être que je fais dix ans à Milan »

Pour revenir à ce coup franc victorieux, on a peu l’impression que c’est le sommet de ta carrière. Derrière, c’est devenu plus compliqué pour toi. Comment tu l’expliques ?

Ce sont des choix de carrière… (Il réfléchit) Je pense que le choix était bon. J’ai la possibilité d’aller à Milan, c’est Capello qui me veut. Il veut jouer à quatre défenseurs. Mais quand j’arrive à Milan, Capello s’est fait virer, beaucoup de choses ont changé. Par exemple, l’équipe passe à un système à trois défenseurs. Tu as Costacurta et Maldini qui sont sûrs de jouer. Donc voilà, même si je fais une bonne première saison, que je joue quasiment tous les matchs… Milan, c’est Milan. C’est un club, quand il joue avec quatre défenseurs, il lui en faut huit du même niveau. Moi, j’étais un parmi ces huit. Et ce n’est pas parce que je suis dans un grand club ou que je gagne beaucoup d’argent que je suis satisfait. Moi, ce que je veux, c’est jouer. Rester sur le banc, ça ne m’intéresse pas. Donc, je suis prêté (à Venise), parce que je ne veux pas rester sur le banc. Et puis après, j’arrive à Marseille, dans un contexte qui n’est pas propice. Voilà, il y a des choix de carrière… Parfois on se trompe. Il y a des choses que je ferais certainement différemment si je pouvais revenir en arrière. Mais, dans l’ensemble, je suis quand même content de ce que j’ai fait.

« J’aurais pu rester au Milan, mais moi ce qui m’intéresse, ce n’est pas le nom du club, c’est de jouer au football »

Ce sont quoi ces choses que tu ferais différemment ?

Je pense que mon « timing français » était bon. Je quitte l’OL au bon moment, pour partir dans le meilleur club français de l’époque. Après, c’est plutôt sur mon « timing à l’étranger »… Je le redis, il y a un concours de circonstances, parce que si Capello reste, peut-être que je fais dix ans à Milan… Donc, voilà. Le regret, c’est peut-être d’avoir signé en cours de saison.

Tu avais signé à Milan en cours de saison ?

Oui, j’étais dans ma dernière année de contrat à Paris. Je savais qu’au mois de juin, je partirai, donc deux mois avant la fin de la saison, j’ai signé à Milan. J’aurai pu attendre la fin de saison et faire mon choix tranquillement à ce moment-là. C’est comme ça…

La première saison à Milan se passe bien, pourtant.

Elle se passe bien, mais Milan rachète encore des défenseurs. Et moi, comme je le disais, je voulais jouer. Or, ça devenait compliqué. Pourtant, c’est un club affectif, qui m’aimait bien. Donc j’aurais pu rester, mais moi ce qui m’intéresse, ce n’est pas le nom du club, c’est de jouer au football.

 

« Marseille, ce n’est jamais simple. Même quand ça va bien… »

Enfin, l’AC Milan, c’était quand même le top à l’époque…

C’était quasiment le meilleur club d’Europe. Le championnat italien était aussi le meilleur. C’est pour cela que je ne pouvais pas refuser une opportunité comme ça, au départ.

Et donc, ensuite, tu débarques à l’OM à l’été 2000.

J’arrive juste après la période Courbis, ça ne se passe pas très bien dans le club. Marseille vient de finir 15e, les dirigeants tentent de relancer une équipe, mais on change d’entraîneur trois fois dans la saison (Abel Braga, Javier Clemente, Tomislav Ivic)… Marseille, ce n’est pas simple, ce n’est jamais simple, on le voit quasiment chaque année. Même quand ça va bien… Je n’en garde vraiment pas un bon souvenir.

Au bout d’un an, tu pars en Angleterre, à Bolton.

Je voulais partir de Marseille quoi qu’il arrive. Je ne pouvais pas rester là-bas. Quand j’ai eu l’opportunité de partir en Angleterre, j’ai sauté dessus. C’était le genre de challenges qui me plaisaient. C’était le football qui me correspondait le mieux, avec beaucoup de contact, de duels. Je n’ai pas hésité et j’ai eu raison car ça s’est bien passé. Résultat, j’ai fait sept ans là-bas.

« Il y a des joueurs qui, pour être bons, préfèrent ne pas sortir. Moi, j’avais une hygiène de vie qui était saine, mais si je devais sortir, eh bien je sortais ; si je devais manger un truc qui me donnait envie de le manger, eh bien je le mangeais »

Tu étais enfin à l’aise là-bas ?

Quand on regarde en arrière, les saisons que j’ai pu faire en Angleterre, ce sont celles où je me suis le plus éclaté. Même si le contexte était difficile. La langue, c’était compliqué, la nourriture, ce n’est pas trop ça non plus. Mais, je restais dans mon quotidien de footballeur et ça s’est bien passé.

Cela n’a pas empêché quelques mauvaises langues de critiquer ton hygiène de vie. Cela t’a touché ?

Ça… Il y a des joueurs qui, pour être bons, préfèrent ne pas sortir. Moi, j’avais une hygiène de vie qui était saine, mais si je devais sortir, eh bien je sortais ; si je devais manger un truc qui me donnait envie de le manger, eh bien je le mangeais. Voilà. Mais ça ne m’a jamais porté préjudice, parce que je n’ai jamais été blessé, je n’ai jamais eu de problème de ce côté-là. Après, cette image a été véhiculée par des personnes qui ont voulu que ça sorte, mais ça ne m’a pas fait du mal.

Maintenant, si je te dis « 17 août 1994″, ça t’évoque quoi ?

(Il réfléchit) J’étais à l’OL…

Oui, mais c’est surtout la date d’un France-République Tchèque à Bordeaux, ta première sélection (6 entre 1994 et 1997). C’était également celle de Lilian Thuram et d’un certain Zinédine Zidane…

Ah oui… Quand on est footeux, on rêve de porter ce maillot bleu. C’est une ambition. C’était bien, c’était un bon moment. C’est vrai que c’était aussi les débuts de joueurs qui ont fait une carrière extraordinaire. C’est un bon souvenir.

 

« J’avais ma fierté. Si c’était à refaire, je referais la même chose »

Comment as-tu appréhendé cette première sélection ? Tu t’imaginais un bel avenir en Bleu?

Quand on travaille, quand on fait de belles choses en club, on mérite d’être récompensé. Pour moi, c’était une juste récompense d’aller en Équipe de France. Après, faire une longue carrière en sélection, c’est toujours dur. Je suis tombé aussi dans une génération avec des joueurs à mon poste qui étaient très, très forts. D’un autre côté, c’était une fierté d’être là, parmi eux. Mais je suis un peu déçu de ne pas avoir fait un plus long parcours en équipe de France.

Tu étais de la génération 1998, tu aurais pu être champion du monde. Tu as raté le bon wagon ?

Oui, je pense que je l’ai raté. Mais je sais pourquoi je l’ai raté… C’est un choix, c’est comme ça. Je sais ce que j’ai fait pour ne pas y être. J’avais ma fierté. Si c’était à refaire, je referais la même chose, parce que je suis comme ça.

On peut en savoir plus ?

Non, non, on n’en parlera pas.

C’était un problème relationnel ?

Un problème relationnel, oui… Mais pas au sein de l’équipe de France. Bon, ce sont des personnes, en dehors, qui ont dit des choses. Cela m’a fait du tort. Je préfère ne pas en dire plus.

« Je faisais partie du groupe France, j’ai fait le stage à Tignes, j’ai fait toute la préparation. J’étais dedans. Après, certaines choses m’ont fait sortir du groupe. Mais c’est comme ça. C’est fait, c’est fait »

Mais tu as réagi comment quand tu as vu les Bleus brandir la Coupe du monde le 12 juillet 1998 ? Tu t’es dit que tu aurais pu être parmi eux ?

Non. Il ne fallait pas s’arrêter sur ça. Je faisais partie du groupe France, j’ai fait le stage à Tignes (en décembre 1997), j’ai fait toute la préparation. J’étais dedans. Après, certaines choses m’ont fait sortir du groupe. Mais c’est comme ça. C’est fait, c’est fait. La France a eu la chance de gagner la Coupe du monde, tant mieux. Les joueurs qui étaient là méritaient d’être en sélection. La preuve, c’est qu’ils ont gagné. Il ne faut pas être jaloux, dire que l’on méritait plus la place, parce que ça voudrait dire que tu aurais pris la place de quelqu’un, que t’étais meilleur que lui. Non, ils ont mérité d’y être. Moi, j’aurais pu y être, je n’ai pas saisi l’opportunité. Ils ont été champions du monde, tant mieux pour eux.

L’OL, le PSG, l’OM, l’équipe de France. C’est un peu une trajectoire à la Florian Maurice…

C’est le hasard. C’est vrai qu’on s’est beaucoup suivi avec Flo. Mais c’était un peu la même chose avec Franck Gava, on a fait Lyon, Paris, l’équipe de France. C’est comme ça. Flo a eu des problèmes de blessures, Franck aussi. Chacun de nous trois aurait pu faire beaucoup plus dans sa carrière. Voilà, c’est comme ça…

Finalement, pour toi comme pour Flo Maurice, vos plus belles années resteront les premières, celles à l’OL, non ?

Oui. Mais c’est presque normal. Dans notre club formateur, on avait tout connu, on était devenu des cadres de l’Olympique Lyonnais. On avait prouvé, on n’avait pas de pression, on était tranquilles et tout nous réussissait. C’est plus facile de s’épanouir dans le club où on est formé, parce qu’on connaît tous les rouages. Quand tu quittes le club, en revanche, il faut recommencer, repartir de tout en bas et s’adapter, apprendre un nouveau contexte, se réaffirmer pour essayer de revenir en haut. À Lyon, on était vraiment considérés, le travail avait déjà été fait.

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Après une ultime saison en Honneur régionale (niveau 7) à Belleville, Bruno N’Gotty y est désormais l’adjoint de Pierre Chavrondier. (Photo Thomas Lacondemine – LLL)

Vous étiez dans un cocon en somme ?

Totalement. On voit que les joueurs formés à Lyon, qui ont fait une longue carrière au club, comme Sidney, ont fait des choses extraordinaires. Peut-être que s’ils étaient partis dans un autre club, ils se seraient plantés. Je crois que quand on est issu de Lyon, formé à Lyon, qu’on joue à l’OL, on ne peut que réussir.

Il y a notamment cette fameuse saison 1994-1995. C’était il y a vingt ans ans. L’OL termine deuxième du championnat, alors le meilleur classement de son histoire. Quels souvenirs en gardes-tu ?

C’était extraordinaire ! Des matchs de folie, un groupe de folie, un nombre de points énorme (69…). Il y avait malheureusement une équipe devant nous qui n’a pas perdu un match de la saison (un en fait). Mais voilà, si Nantes ne fait pas la saison parfaite, je crois qu’on est champions. C’est cela qui me dérange un peu, qu’on ne soit pas champion, parce qu’on a tout fait pour. Mais, c’est la saison qui me marque le plus.

Pourtant, voir l’OL à ce niveau là, c’était un peu inattendu, non ?

Oui, ce n’était pas forcément attendu, mais on était quand même dans une perspective où on commençait à avoir de bons joueurs. On avait fait un recrutement important (4). Il y avait des joueurs d’expérience, des jeunes joueurs qui montaient. On avait un groupe qui était serein, sain, et on a fait quelque chose d’extraordinaire, même si on n’a pas été champions.

 

« On a contribué à construire l’édifice »

On sentait un vrai plaisir au sein de cette équipe, dirigée par Jean Tigana.

Exactement ! Dès la préparation, on sentait que tout le monde tirait dans le même sens. Il y avait beaucoup d’affinités, on sortait souvent tous ensemble, on faisait des repas. Il y avait une osmose. Cela ne m’a pas étonné que l’on fasse une bonne saison. C’était, en quelque sorte, le début des bonnes années lyonnaises, qui ont débouché plus tard sur les sept titres consécutifs.

Une bonne ambiance, beaucoup de jeunes encadrés par quelques joueurs d’expérience, des buts, du spectacle… Il y a beaucoup de points communs avec l’équipe actuelle, non ?

Oui. Là je revois une équipe dont on disait qu’elle ne pourrait jamais être championne parce qu’il y a trop de jeunes. On disait la même chose pour nous à l’époque. Et on a presque réussi à être champions. Alors qu’à l’époque, il y avait des clubs beaucoup plus armés que nous financièrement. C’est pareil cette année. On voyait Paris, Monaco, Marseille… On disait que ça allait être dur. Mais voilà, je crois que Lyon a des joueurs de qualité et ils le démontrent cette année. Pourquoi ne pas refaire ce qu’a réalisé Montpellier il y a trois ans. Ils avaient une équipe jeune. On disait : « Ils vont craquer, ils vont craquer… » Et ils n’ont pas craqué. Donc pourquoi l’OL ne pourra pas le faire aussi ?

Tu serais fier de voir l’OL champion cette année?

« Peut-être qu’ils iront au bout, peut-être qu’ils n’iront pas, mais quoi qu’il arrive, ils auront fait plaisir à tous ceux qui suivent Lyon »

Oui, c’est sûr. Cela prouverait aussi qu’il n’y a pas que l’argent qui peut faire gagner des titres. L’enthousiasme de l’équipe, l’envie, l’unité, ça peut permettre d’aller très loin. Ils ont mal démarré, ont su réagir et maintenant ils peuvent se dire qu’ils peuvent aller au bout. Peut-être qu’ils iront, peut-être qu’ils n’iront pas, mais quoi qu’il arrive, ils auront fait plaisir à tous ceux qui suivent Lyon. Je pense que, dans tous les cas, ils ne seront pas très loin.

Cela restera un vrai regret, pour toi, de ne pas avoir été champion avec ton club formateur ?

Ah oui ! D’autant que je n’ai jamais été champion de France. Avec Paris, on a gagné la Coupe d’Europe, la Coupe de France, la Coupe de la Ligue, mais on n’a pas été champions. C’est forcément un regret.

En juin 1995, tu quittais le club. vingt ans après, cela te fait plaisir de voir tout ce que l’OL a accompli ?

Bien sûr ! Je crois qu’on a contribué à construire l’édifice. Et puis nos transferts ont rapporté de l’argent au club, il a pu ensuite acheter des joueurs et grandir. C’est une belle chose, parce que Lyon a le potentiel, a une ville, a des gens qui aiment le football et un président hyper-compétent qui a permis cette évolution depuis l’époque où je suis parti.

Jean-Michel Aulas justement, il était comment à l’époque ?

Quand il est arrivé, c’était quand même plus un homme d’affaires, qui avait sa société, la Cegid. On ne savait pas trop s’il venait pour le club, s’il venait pour être connu… On le voyait lors du décrassage, vite fait, il nous parlait puis il repartait. Ce n’était pas le président investi comme on le voit maintenant. Aujourd’hui, il communique beaucoup plus, il prend position, il valorise son club. Ce n’est plus tout à fait le même personnage qu’à mon époque. Il a su évoluer par rapport à ses débuts. Il est arrivé à faire des choses que l’on aurait crues impossibles à l’époque, comme quand il a pris sa voiture et qu’il est allé à Barcelone chercher Sonny Anderson. Jamais je n’aurais pu croire que Jean-Michel Aulas mette autant d’argent sur un joueur. Et cela a commencé comme ça, cela a marqué un tournant qui a permis de vivre toute la suite.

Et l’OL de demain, avec le Grand Stade, tu le vois comment ?

Si Aulas l’a fait, c’est pour grandir, pour concurrencer les meilleures équipes européennes. À l’étranger, on le voit, toutes les meilleures équipes ont leur stade. Lyon suit cette voie, en espérant un jour atteindre la dimension que peut avoir Paris actuellement. Il a besoin de ça, de son stade, pour pouvoir acheter des joueurs-vedettes. Car, il ne faut pas se voiler la face, maintenant, le football, c’est de l’argent et il faut de l’argent pour être au top. Si on ne fait pas les démarches pour être costauds financièrement, on ne peut pas avoir de résultats.

Et Bruno N’Gotty de retour à l’OL, c’est possible ?

Quand on passe ses diplômes, que l’on veut devenir entraîneur, c’est sûr que cela pourrait être plaisant de pouvoir intégrer son club formateur. Donc, pourquoi pas ? Mais après, ce n’est pas mon obsession, je ne vais pas aller taper à la porte en disant : « Je suis un ancien joueur, prenez moi ! » Si je suis compétent dans ma fonction d’entraineur, si j’ai les facultés pour, si je peux aider… C’est comme quand on est joueur, il faut gravir les échelons un par un et on verra bien.

Olympique Lyonnais

Pour finir, comme le veut la tradition, peux-tu nous donner ton onze OL star !

En gardien, je mettrais quand même Pascal Olmeta. L’année où on fait une super saison, il est là pour motiver, pour donner de l’enthousiasme, faire rire dans le groupe. Donc si je prends un gardien, je prends tout de suite Pascal. En arrière droit, je mettrais Jean-Luc Sassus. Je crois que même lors de son passage à Lyon (après le PSG), il était au top. À gauche, sans hésiter, je mettrais Manuel Amoros. Dans la logique, je me mettrai en défense centrale. Mais bon, quand on fait une équipe type, on va essayer de ne pas se mettre dedans. (Sourire) Je mettrais donc Jean-Jacques Nono. Et à côté… (Il réfléchit) Cris, Caçapa, Edmilson sont de supers joueurs, mais je mettrais quand même mon pote Florent Laville. En milieu défensif… (Longue réflexion) Ce n’est pas évident… Je dirais le regretté Marc-Vivien Foé. Je vais choisir un milieu en losange. En 10, je mettrais Abedi Pelé. Franck Gava à gauche, obligé, et Sidney Govou de l’autre côté. Je n’ai même pas mis Juninho. Ce n’est pas évident… Devant, il y a Sonny. C’est difficile de ne pas le mettre. Allez, je mettrais Sonny Anderson avec Florian Maurice. Et si je devais mettre un coach, je mettrais Tigana. C’était quand même pas mal, à l’époque, tactiquement !

Propos recueillis par Thomas Lacondemine


(Photo Thomas Lacondemine – Le Libéro Lyon)

(1) Bruno N’Gotty a grandi et tapé ses premiers ballons dans le quartier de Vaise.
(2) OL-Bordeaux 4-2, le 9 avril 1994 (N’Gotty 20e, 76e, Gava 42e ; Roy 90e pour l’OL ; OL-Monaco 3-1, le 2 août 1994 (N’Gotty 67e, Maurice 74e, Debbah 89e pour l’OL).
(3) Victoire 1-0 du PSG.
(4) Notamment la saison précédente, avec les arrivées d’Éric Roy en provenance de Toulon et des trois Marseillais Pascal Olmeta, Manuel Amoros et Abedi Pelé. Ce dernier repartira au bout d’un an. À l’intersaison 1994, Jean-Luc Sassus débarque du PSG.

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