« Il n’y a pas beaucoup de gens qui se rappelaient d’André Guy »

Olympique Lyonnais

SOUS L’HORLOGE. Avant cette saison, à la question de savoir qui il était, on aurait souvent entendu : « André qui ? » Mais le record de Lacazette a refait parler de lui. Alors, on a voulu en savoir plus. On l’a appelé. On a pris rendez-vous avec lui à Sanary-sur-Mer, au Tennis Club du Rosaire, dont il reste un joueur assidu. Et on n’a pas été déçu. Pendant plus d’une heure, à l’ombre des pins varois, il nous a tout dit, tout raconté. Sur Lacazette, sur son record, sur son passé. Ou encore sur la façon dont il a contribué à lancer la carrière d’un certain Bernard Lacombe ! Oui, vraiment, on a bien fait de s’intéresser à André Guy.

 

Alexandre Lacazette a récolté beaucoup de lauriers, cette saison. Mais l’un de ses plus grands mérites est peut-être d’avoir remis en lumière André Guy. En battant le record de ce dernier, jusque-là meilleur buteur de l’histoire de l’OL sur une saison, avec 25 buts en 1968-1969, le Kid de Mermoz a aussi permis aux plus jeunes de réviser leur histoire. Il faut l’avouer, de cette époque tourmentée et excitante de la fin des 60’s, marquée par la victoire de l’OL en Coupe de France 1967 et la belle épopée européenne qui a suivi (élimination de Tottenham, élimination en match d’appui contre Hambourg), nos pères ou nos grand-pères ont préféré retenir les buts de Fleury Di Nallo, les chevauchées d’Angel Rambert ou les arrêts d’Yves Chauveau. Mais, dans les récits, point d’André Guy, en tout cas beaucoup moins. Dommage, et pour tout dire assez injuste.

« Il faut dire que c’est un peu plus difficile, aussi, maintenant. Les défenses sont mieux structurées, le jeu est mieux organisé »

L’attaquant né à Bourg-en-Bresse incarnait une race de goleadors comme on n’en fait plus. André Guy, c’est 76 buts à l’OL, en trois saisons et demie, 159 buts en Première division, et 244 au total, en 440 matchs, dont sept saisons consécutives à 16 buts ou plus en championnat, entre 1963 et 1970. Avec des statistiques pareilles, il serait aujourd’hui une star convoitée dans toute l’Europe. Mais ne comptez pas sur l’intéressé pour jouer les vieux combattants ou tenter les comparaisons. À 74 ans, André Guy est parfaitement heureux de la carrière qu’il a eue. Et plus encore de la vie qui a suivi.  Installé dans le Var à Sanary-sur-Mer, il profite d’une retraite au calme, après avoir longtemps travaillé comme commercial dans le prêt-à-porter. Adjoint aux Sports de sa commune, de 2008 à 2014, il continue surtout d’entretenir sa passion pour le sport en jouant au tennis. Et plutôt bien, puisque, encore classé 15/3, il a remporté une dizaine de titres de champion PACA chez les vétérans ! Les vestiges d’une adresse incomparable.

 

« Je commençais à douter de voir mon successeur de mon vivant »

Votre record est donc tombé. Quel sentiment cela vous procure ?

Je vous le dis franchement, je commençais à douter de voir mon successeur de mon vivant ! Cela faisait tout de même 46 ans que j’avais établi ce record. Cela commençait à dater.

Vous pensiez que ce record serait battu beaucoup plus tôt ?

Oui. Parce que ce n’était pas non plus extraordinaire. Au cours d’une autre saison, j’avais marqué 28 buts (en 1963-1964, avec Saint-Étienne, ndlr). Là, 25, sachant que j’avais manqué quelques matchs (quatre dans une saison à 34 journées), cela ne me paraissait pas exceptionnel. Mais, ce record a duré, c’est comme ça. Il faut dire que c’est un peu plus difficile, aussi, maintenant. Les défenses sont mieux structurées, le jeu est mieux organisé.

Vous êtes content que ce soit un joueur comme Lacazette qui l’ait battu ?

Bien sûr. Et je lui dis bravo. J’espère qu’il rentrera un jour dans le cercle très fermé des buteurs à plus de 30 buts par saison, parce que je crois qu’ils ne sont pas nombreux. Il y a surtout des étrangers, mais des Français, il n’y en a pas beaucoup. Moi, je suis arrivé à 28, je n’ai pas pu arriver à 30.

Il n’est pas passé loin cette saison…

Ce sera pour l’année prochaine, j’espère. Maintenant, le souci, ça va être de le garder, parce que c’est toujours le problème des clubs français de pouvoir garder leurs meilleurs joueurs. Mais là, je pense qu’avec le nouveau stade, ils vont tout faire pour qu’il reste. Ce qui est formidable dans ce club, c’est de voir tous ces joueurs formés au club. Après avoir dominé le football français pendant dix ans, l’OL a eu une période difficile, notamment à cause de recrutements pas toujours heureux. Refaire surface par la formation, je trouve que c’est extraordinaire. Je dis un grand bravo à Monsieur Aulas et à Bernard Lacombe.

« Lacazette est agréable à voir jouer, il donne des solutions à ses partenaires, avec ses appels de balle et tout le reste. Je pense qu’il rentrera dans le club des meilleurs attaquants européens »

Vous donnez l’impression de suivre encore de très près la Ligue 1 et l’OL en particulier…

Bien sûr que je suis encore la Ligue 1. Et Lyon, cela reste mon club de cœur. Je suis originaire de Bourg-en-Bresse.  A l’époque où je jouais, on était quatre Bressans : Yves Chauveau, Georges Prost (qui est revenu au club récemment pour diriger le centre de formation, de 2007 à 2010) et Fanfan Chevat (milieu de terrain venu de 3e division, Jean-François Chevat n’est resté qu’une saison à l’OL, pour 9 matchs joués, en 1970-1971). On a passé de bons moments ensemble. Même encore maintenant, quand on se revoit. Donc voilà, Lyon reste mon club de cœur. J’ai débuté dans la région lyonnaise, avec la sélection des cadets du Lyonnais. C’est ma région. J’ai toute ma famille là-bas.

Lacazette, vous l’avez suivi d’un œil un peu plus attentif ces derniers mois ?

J’ai suivi l’Olympique Lyonnais. Après, j’ai suivi Lacazette, forcément, car c’est quand même lui qui faisait souvent pencher la balance. Puis aussi parce qu’il a des qualités. Il est agréable à voir jouer, il donne des solutions à ses partenaires, avec ses appels de balle et tout le reste. Je pense qu’il rentrera dans le club des meilleurs attaquants européens.

Ce qui est étonnant, c’est que vous avez pratiquement le même gabarit, pas très grand mais trapu (1,78 m, 78 kg contre 1,75 m, 73 kg pour Lacazette).

Il est un peu plus technique que je ne l’étais. De ce côté-là, il est mieux armé. Moi, ma force, c’est que je frappais fort des deux pieds et un peu dans toutes les positions. Le football était peut-être aussi différent de maintenant. Les équipes étaient moins bien organisées, les joueurs moins bien préparés.

 

« Je serais plutôt dans le style de Gignac »

Quel était votre style ?

J’étais bon des deux pieds, comme je l’ai dit. J’avais le sens du but, je faisais preuve de sang froid devant la cage, comme tous les attaquants. De la tête, en revanche, j’étais moyen. Voilà, j’avais surtout cette capacité à frapper des deux pieds et dans toutes les positions. Même dos au but, je prenais ma chance. Mais ça m’est difficile de parler de moi.

Vous aviez le sens du placement, aussi, peut-être ?

Oui, le placement, l’anticipation, les appels de balle. Par contre, je n’allais pas très vite. Je n’étais pas un pur-sang.

Si vous deviez vous comparer à un joueur actuel, ce serait lequel ?

Je serais plutôt dans le style de Gignac. Plus que Lacazette, parce que j’étais moins technique que lui. Sauf que comparativement à Gignac, chaque fois que je le vois jouer, il ne coupe jamais les trajectoires. Quand il y a un centre, il va toujours se planquer au deuxième poteau. Je trouve ça bizarre que personne, ne serait-ce que l’entraîneur, ne lui dise. Parce qu’il ne coupe jamais une trajectoire ! Le match de Marseille contre Lorient, l’autre jour (victoire 5 à 3 de Lorient au Vélodrome, le 24 avril), Batshuayi est rentré, au bout de trois minutes il a coupé une trajectoire et il a marqué. Gignac, c’est très rare qu’il fasse ça.

Vous, venir couper au premier poteau, c’était…

(Il coupe ) C’était naturel, on surgissait. Comme le font tous les attaquants.

Du coup, ce record battu par Lacazette a beaucoup fait parler de vous cette saison…

Hé oui. Il a fallu cela, parce qu’il n’y avait pas beaucoup de gens qui se rappelaient d’André Guy. (Sourire) Ma foi, c’est comme ça. Ça me fait plaisir. Il y a beaucoup de personnes qui m’en parlent. Même quand je vais sur le marché tous les matins, on me dit : « Ça y est, le record est fini. »

« À l’époque, Sochaux était un club formateur. […] Et puis, il y avait Peugeot qui finançait le club et la possibilité, si l’on ne réussissait pas, d’avoir du travail là-bas. Ce côté-là était rassurant »

Comment expliquez-vous ce relatif anonymat, alors que vous avez été international, champion de France, vainqueur de la Coupe de France… ?

À part vraiment les super joueurs, on ne souvient pas des gens de ma génération. C’est vrai dans tous les sports. C’est un peu normal. Le temps efface les choses.

Parlez-nous de vos débuts. Vous êtes donc né à Bourg-en-Bresse. Vous avez commencé le foot dans la région ?

Oui. J’ai joué en cadets du Lyonnais, en championnat de France. Ça n’existe plus aujourd’hui. Avant, il y avait un championnat inter-ligues de cadets. Là, je jouais avec (Jean) Djorkaeff, avec (Lucien) Degeorges, etc. J’ai commencé dans le Lyonnais, puis j’ai signé mon premier contrat de stagiaire avec Sochaux. Je suis resté quatre ans et demi là-bas. Mais, à Sochaux, je n’ai jamais été titulaire. Je faisais trois-quatre matchs par saison. Et encore… Il fallait qu’il y ait cinq blessés pour que je puisse jouer. Puis, j’ai été transféré à Saint-Étienne.

Mais pourquoi Sochaux, au départ, et pas l’OL, qui était le club le plus proche de chez vous ?

À l’époque, Sochaux était un club formateur, comme l’était Auxerre, comme l’est Lyon maintenant. Et puis, il y avait Peugeot qui finançait le club et la possibilité, si l’on ne réussissait pas, d’avoir du travail là-bas. Ce côté-là était rassurant.

Ensuite, comment s’effectue votre transfert à Saint-Etienne ?

C’est-à-dire que Sochaux voulait acheter un joueur à Saint-Étienne, Ginès Liron. Mais les deux clubs n’étaient pas d’accord sur le prix. Saint-Étienne a alors demandé à m’inclure, pour équilibrer le transfert. Je suis donc arrivé par la petite porte. Puis, j’ai fait un ou deux matchs, j’ai été rapidement titulaire et c’était parti.

 

« Avec moi, Saint-Étienne a fait une affaire en or »

À l’époque, Saint-Étienne était en 2e division…

Ils avaient remporté la Coupe mais ils étaient descendus en 2e division. Finalement, on a gagné le championnat de 2e division dès la première saison. Et avec pratiquement la même équipe, en changeant simplement le gardien et un joueur de champ, l’année d’après, on a été champions de France. Moi, c’était ma première année en 1re division et c’est là que j’ai marqué 28 buts.

28 buts, c’est assez exceptionnel. Et pourtant, vous n’avez pas fini meilleur buteur !

Non, j’ai terminé deuxième. (Ahmed) Oudjani en avait marqué 30. Il jouait à Lens. Mais il y avait eu un match… À l’époque, les remplacements n’étaient pas autorisés et le gardien du Racing Paris s’était blessé. C’est un joueur de champ qui l’avait remplacé. Oudjani avait marqué six buts ce jour-là…

Champion de France, meilleur buteur de l’équipe, vous étiez un peu la vedette à l’époque ?

Non, c’était (Rachid) Mekloufi et (Robert) Herbin. Moi, j’étais le buteur, mais c’est tout. Le tout dans le football, c’est de confirmer, pas de faire une seule saison.

C’est ce que vous faites la saison suivante : vous confirmez, en marquant encore 17 buts.

Oui, mais j’ai été blessé. C’est l’une des saisons où j’ai le moins marqué. J’ai dû faire une saison à 16 buts à Lyon (en 1967-1968, puis une autre à 17, en 1969-1970). Je m’étais fait opérer du ménisque, puis de l’appendicite. Ces saisons-là, j’ai loupé deux mois à chaque fois.

Vous découvrez, cette saison 1964-65, la Coupe d’Europe des clubs champions. C’était comment ?

Ça ne s’est pas bien passé, parce qu’on n’était pas très bon défensivement. Moi, j’avais marqué deux buts en deux matchs, mais ça n’avait pas suffi. On perd contre les Suisses de La Chaux-de-Fonds, l’équipe qui dominait le championnat de Suisse à l’époque.

Après cette troisième saison à Saint-Étienne, vous partez à Lille. Pourquoi ?

Ce n’était pas prévu. À l’époque, il n’y avait pas les contrats à temps. On était lié au club jusqu’à 35 ans et celui-ci avait le droit de vous transférer où il avait envie. Moi, je voulais partir de Saint-Étienne. J’avais envie de changer d’air et j’étais en contact avec Monaco et Lyon. Quand j’ai fini la saison, je suis parti en vacances en Italie avec ma femme, en étant persuadé que cela allait se faire avec l’un de ces deux clubs. Mais comme c’était des concurrents de Saint-Étienne (Monaco avait notamment terminé 2e en 1964, année où l’OL remportait sa première Coupe de France), Roger Rocher, le président, m’a envoyé à Lille, qui était plutôt une équipe de bas de tableau.

On imagine votre déception…

« Je n’étais pas décontracté quand j’arrivais en équipe de France, j’étais un peu impressionné et je n’ai pas su aller au-delà »

Non, car c’est moi qui avais demandé à partir. C’était une question pécuniaire. Comme j’étais rentré par la petite porte à Saint-Étienne, j’avais un contrat qui était bidon. Saint-Étienne, je ne leur ai pas coûté un centime quand ils m’ont pris. Et ils m’ont revendu pour 40 millions d’anciens francs ! À l’époque, c’était le transfert de l’année. Avec moi, ils ont fait une affaire en or.

À Lille, cela se passe plutôt bien, vous marquez encore beaucoup de buts : 22 buts la première année, 20 la suivante.

Oui, seulement on joue les barrages pour ne pas descendre, la première année. Et la deuxième année, on finit dixième.

Vous marquez pour votre première sélection, contre le Luxembourg (2-0, le 4 octobre 1964). Pourtant, vous n’allez connaître que 8 sélections au total…

Parce qu’à l’époque, on était trois attaquants de pointe. Il y avait (Nestor) Combin, qui venait de quitter Lyon pour la Juventus, et (Philippe) Gondet, qui jouait à Nantes. Il avait mis 36 buts une saison (en 1965-1966). On jouait chacun à notre tour. Comme je n’ai pas fait de miracles les fois où j’ai joué… Voilà, c’était celui qui jouait le mieux qui revenait. J’ai été souvent remplaçant, mais je n’ai joué effectivement que 8 fois.

Vous avez raté la Coupe du monde 1966. Cela reste un grand regret ?

Oui. C’est l’année où je suis arrivé à Lille. On connait une saison difficile et c’est compliqué de se mettre en valeur quand l’équipe n’est pas bonne. Lors des barrages, on s’est sauvés par miracle contre Bastia. On marque un but à une ou deux minutes de la fin. À quelques secondes près, on descendait.

Vous êtes malgré tout revenu en équipe de France après avoir signé à l’OL, en 1967…

L’un de mes bons souvenirs en équipe de France, c’est un match en Pologne (le 17 septembre 1967 à Varsovie). L’équipe polonaise avait des bons joueurs, qui jouaient en Italie. C’était peu de temps après mon arrivée à Lyon. Je jouais devant avec Di Nallo. On avait gagné 4-1. J’avais marqué un but et Fleury deux. C’est vraiment le meilleur souvenir que j’ai de l’équipe de France. Après, j’ai fait d’autres matchs, mais je n’ai jamais su m’imposer. Je n’étais pas décontracté quand j’arrivais en équipe de France, j’étais un peu impressionné et je n’ai pas su aller au-delà.

C’était le summum, à l’époque, d’être en équipe de France ?

Bien sûr. Avec un peu moins de médiatisation que maintenant. (Sourire)

Et les primes de match, c’était combien ?

C’est difficile de vous répondre. Je ne saurais pas vous dire. Mais ça n’avait rien à voir avec maintenant, évidemment.

Et votre salaire en club ?

Disons que c’était à peu près un dixième de maintenant. Mais, la chose à savoir, c’est qu’il y avait beaucoup de dessous de table à l’époque. Déjà, quand on changeait de club, il y avait la prime à la signature. Ça, ce n’était pas déclaré. Et puis même les salaires, la moitié, ou au moins un tiers, n’était pas déclaré. Malgré cela, on était très loin des salaires actuels. Comme c’est le cas dans les autres sports. Moi, j’ai travaillé, après ma carrière, avec Michel Jazy. Il était médaillé olympique, recordman du monde du 1.500 m et il ne gagnait rien du tout. Alors que maintenant, vous prenez Usain Bolt, il gagne autant que les meilleurs joueurs de foot.

 

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« J’essayais toujours de dépasser les 20 buts. Là, quand on y arrive, ça va. » 

 

« On s’entendait très bien avec Fleury »

Vous signez à l’OL en 1967…

Déjà, je suis très content de revenir à Lyon. Je retrouve toute ma famille qui habite dans l’Ain, donc je suis très heureux. C’est Lyon qui voulait me recruter. Mais quand j’avais été transféré à Lille, c’était la BP qui avait payé. Le président du club lillois était patron de la BP, l’entreprise de raffinage, celle des stations essence. Le problème, c’est que si j’étais revendu, l’argent devait revenir à la BP, et non au club. Le président avait négocié cela avant de quitter ses fonctions. Or, à l’époque, Lille voulait récupérer (Michel) Watteau, qui jouait à Sedan et qui était lillois d’origine. Lyon a donc acheté Watteau et ils l’ont échangé avec moi, dans la foulée, avec une petite différence financière, car j’étais attaquant et lui milieu de terrain. C’était tout un mic-mac. Je ne sais pas comment ça s’est passé d’un point de vue juridique, mais voilà, ça s’est fait comme ça.

Au-delà de l’attache régionale et familiale, vous franchissiez un palier en venant à Lyon ?

Oui. Lyon venait de gagner la Coupe de France, en 1967. Il allait disputer la Coupe des coupes.

Et y réaliser un bon parcours, avec notamment ce fameux match à Tottenham et cette défaite héroïque 4-3, après avoir gagné 1-0 à l’aller…

Tout à fait. On bat Tottenham et puis après, on est éliminés par Hambourg au match d’appui. À l’époque, en cas d’égalité parfaite après les matchs aller-retour, il y avait un match d’appui. Cette rencontre, on aurait dû la faire à Lausanne, en Suisse. Mais Hambourg avait proposé à l’OL de lui laisser une grosse partie de la recette s’il acceptait de venir jouer en Allemagne. Parce qu’à Lausanne, il n’y aurait eu personne dans les tribunes. Alors qu’à Hambourg, c’était un stade qui faisait 40.000 places et ils étaient sûrs de le remplir. En venant jouer chez eux, l’OL empochait 60% de la recette, quelque chose comme ça. Les dirigeants nous ont mis carte sur table et on a accepté d’aller jouer là-bas. On a perdu 2-0 (après avoir gagné, puis perdu les deux premiers matchs sur le même score).

Vous en avez voulu à vos dirigeants ?

Avec le recul, oui. Mais sur le moment, on ne savait pas trop. On n’était pas sûrs de se qualifier, je n’avais pas à juger si c’était bien ou non.

Malgré cet épisode, vous gardez de beaux souvenirs de ce parcours en Coupe des coupes ?

Bien sûr. On a passé plusieurs tours, il y a eu ce match à Tottenham. Mais moi, je n’y étais pas là-bas, j’étais suspendu. J’avais été expulsé au match aller. On s’était pris le bec avec (Allan) Mullery et on s’était fait expulser tous les deux. Mullery, c’était le demi-centre de l’équipe d’Angleterre, c’est lui qui avait voulu blesser Pelé lors de la Coupe du monde 1970.

« Fleury s’était fait casser la jambe, donc il n’a pratiquement pas joué de la saison. Quand on évoluait ensemble, on marquait à peu près autant de buts l’un que l’autre. Là, je me suis retrouvé seul en pointe. J’avais plus d’espace et plus de ballons, c’est pour cela que j’ai pu marquer autant »

Vous vous souvenez de l’équipe de cette saison-là ?

En attaque, il y avait Di Nallo, Rambert et (Mohamed) Lekkak. Au milieu, il y avait (Robert) Nouzaret, Prost, Degeorges ; derrière (Bernard) Lhomme à gauche, (Erwin) Kuffer à droite et dans l’axe, (Jacques) Glyczinski et (Marcel) Leborgne ; dans les buts Yves Chauveau.

Et vous, en pointe ?

Oui. On jouait une fois sur deux en pointe, avec Fleury. On s’entendait très bien, à l’image du match contre la Pologne dont je parlais tout à l’heure. Je crois que notre premier match ensemble, à Lyon, c’était contre Angers. On avait gagné 8-0 ! On avait fait des bons matchs et on avait donc été sélectionnés tous les deux.

On en arrive à cette saison 1968-69, celle du record.

Oui. Il faut dire que cette année-là, en début de championnat, Fleury s’était fait casser la jambe, donc il n’a pratiquement pas joué de la saison. Quand on évoluait ensemble, on marquait à peu près autant de buts l’un que l’autre. Là, je me suis retrouvé seul en pointe. J’avais plus d’espace et plus de ballons, c’est pour cela que j’ai pu marquer autant.

Vous vous souvenez du déroulement de la saison, de chacun de vos buts ?

Pas vraiment, non. Sur certains matchs, si, mais dans l’ensemble, je ne me souviens plus tellement.

Vous vous fixiez un objectif de buts avant chaque saison, une barre à atteindre ?

Non. Après, j’essayais toujours de dépasser les 20 buts. Là, quand on y arrive, ça va.

Vous voulez dire que c’était le minimum pour vous ?

Oui, en tout cas, c’est ce que me demandaient mes entraîneurs, Louis Hon puis Aimé Mignot.

Vous finissez aussi meilleur buteur du championnat cette saison-là. Cela a été difficile de confirmer ? Comment s’est passée la suite ?

La troisième année à Lyon, j’ai fait un très mauvais début de saison. Et puis, il y avait Bernard Lacombe qui commençait à jouer. J’ai un peu perdu pied. Alors, pendant la trêve hivernale, j’ai demandé à être transféré et je me suis retrouvé à Rennes. Metz était aussi sur les rangs. Je m’étais déplacé dans les deux clubs et je m’étais mis d’accord avec Rennes. Je suis resté six mois là-bas (de janvier à juin 1971).

Comment expliquez-vous cette fin délicate à l’OL ?

J’étais moins performant, tout simplement. J’ai perdu en efficacité. J’ai traversé une période difficile, connu quelques pépins physiques. Mais, voilà, je n’étais pas bon, c’est comme ça. Regardez Cavani, il a vécu aussi une période moins bonne avant de bien finir la saison. Pour un attaquant, il y a des périodes de réussite et des périodes où ça ne va pas. Quand on commence à douter, c’est le début de la fin.

C’est vous-même qui avez demandé à partir ?

Oui, oui. Parce que je ne jouais plus. Moi j’avais envie de jouer, même si Lyon était mon club de cœur. Il fallait changer. D’autant plus que j’avais des demandes. Comme je le disais, j’avais Metz et Rennes qui étaient intéressés.

 

« Yves savait comment je tirais les penalties »

Ce qui est assez extraordinaire, c’est que vous ne jouez que six mois à Rennes, mais il y a cette finale de Coupe de France contre l’OL en fin de saison ?

Il y a surtout le plus important, selon-moi, la demi-finale contre Marseille. Cette saison-là, Marseille avait été champion. C’était comme le PSG l’an dernier. Ils dominaient le football français. Et on avait gagné à Rennes, 2-1. J’avais inscrit les deux buts. C’est là, surtout, qu’on a gagné. Parce qu’après, en finale, Lyon n’avait pas été très bon.

Elle était forcément particulière pour vous, cette finale ?

Moi, j’étais hyper motivé cette année-là en Coupe de France, car c’est le seul titre national que je n’avais jamais remporté. J’avais obtenu des titres, des sélections, mais la Coupe de France, je ne l’avais jamais gagnée. J’étais vraiment motivé. On avait joué Monaco, en quarts, j’avais marqué deux buts. Après, il y a Marseille. Et puis, la finale.

Vous aviez un esprit de revanche vis-à-vis de l’OL ?

Non, pas du tout. J’avais simplement envie de remporter cette Coupe. Mais, pas d’esprit de revanche, car j’avais mes copains qui jouaient en face. D’ailleurs, on se voit toujours, on est restés amis. Georges Prost, je le revois régulièrement. Yves Chauveau, dès que je vais dans l’Ain, je l’appelle et on joue au tennis, donc, non, j’avais simplement envie de gagner la Coupe de France. J’avais 30 ans. Je sentais que j’arrivais au bout de ma carrière et que c’était ma dernière chance de la remporter. Après, un concours de circonstances a fait que c’est tombé contre Lyon.

Vous vous souvenez du but, le seul du match, qui vous a permis de remporter la finale ?

Bien sûr ! Je pars sur une passe en profondeur et je me présente seul devant Yves, je glisse la balle sur le côté, mais elle tape le poteau. Elle revient alors sur moi. Yves Chauveau était couché. Je vais pour la pousser au fond et il y a un défenseur de Lyon, le latéral gauche (Robert) Valette, qui m’a fauché par derrière. Il y a eu penalty et c’est moi qui l’ai tiré.

Alors que vous aviez, en face, un gardien qui vous connaissait par cœur !

Il faut savoir qu’à l’OL, à chaque fin d’entraînement, j’avais l’habitude de tirer une dizaine de penalties à Yves. Il savait comment je les tirais. Donc, je me suis dit que j’allais tirer tout droit sous la barre, parce que je savais qu’Yves allait anticiper d’un côté ou de l’autre. Il a plongé, comme prévu, et j’ai marqué. De toute façon, je vais vous dire, quand on tire les penalties, si on tire tout droit, 9 fois sur 10, on les marque. Le gardien, il part tout le temps. C’est ce que je n’arrive pas à comprendre ! Souvent, je vois les tireurs qui se prennent la tête pour essayer de bien placer le ballon et tout ça. Ils tirent tout droit, ça rentre ! Alors, bien sûr, s’ils le font dix fois de suite, ça se sait. Mais quand le gars a un doute et que c’est un penalty important, qui est décisif pour le match, je ne comprends pas qu’il n’essaye pas.

« Fleury Di Nallo avait une angine […] et Aimé Mignot ne savait pas trop quoi faire. Je lui dis : « Prends Bernard Lacombe. » C’est ce qui se passe. Et Bernard, dix minutes de jeu, hop, je déborde, je centre en retrait et il marque ! »

C’est marrant, car c’est souvent ce que répète Bernard Lacombe ! Il l’avait conseillé à Lacazette avant le match contre Evian, en décembre dernier…

Eh oui ! Bernard Lacombe, lui aussi, tirait les penalties. Quand c’est un gardien qu’on connait en plus… En regardant la télé, on sait qu’untel les met plus à droite, un autre plus à gauche, donc en tirant tout droit…

En parlant de Bernard Lacombe, vous l’avez vu débuter.

J’ai le souvenir d’un endroit où vivaient tous les stagiaires, l’Ours Blanc, chez Madame Toutain, derrière la gare de Perrache. Bernard Lacombe jouait alors en équipe réserve, l’équipe CFA d’aujourd’hui. Son entraîneur, c’était un homme qui venait de Grenoble. Je ne me souviens plus de son nom (Jean-Pierre Cappon). Je mangeais souvent avec lui. Et à chaque fois, on parlait de Lacombe. Parce que, moi, j’allais souvent la voir jouer la réserve. Elle jouait la veille (des matchs des pros), le samedi, à l’époque. Et lui, l’entraîneur, il ne pouvait pas voir Bernard Lacombe. Il disait qu’il ne défendait pas et ci et ça… Moi, je lui répondais : « Écoute, c’est le seul qui va faire une carrière pro. De tous ceux que tu as, c’est le seul. » Il me disait : « Mais non… » Et il ne le faisait pas jouer. Puis, un coup, on devait jouer contre le Red Star, chez nous. Fleury Di Nallo avait une angine. Il avait été malade pendant la nuit et il avait prévenu le matin du match. On était en mise au vert, tous ensemble, et Aimé Mignot, l’entraîneur, ne savait pas trop quoi faire. Je lui dis : « Prends Bernard Lacombe. » C’est ce qui se passe. Et Bernard, dix minutes de jeu, hop, je déborde, je centre en retrait et il marque !

C’est donc vous qui avez lancé la carrière de Bernard Lacombe ?!

Non, non. Pas du tout. Mais disons que je me souviens bien de ce petit jeune. On avait gagné 2-0 (le 7 décembre 1969 à Gerland contre le Red Star). Il en avait marqué un, moi j’avais marqué l’autre.

Ce qui est curieux, et ce qu’on ne verrait probablement plus maintenant, c’est que vous avez promu un concurrent direct à votre poste ?

Non, mais moi je l’aimais bien Bernard. Je trouvais qu’il était bon. Après, il a fait quelques matchs et il a enchaîné.

Vous avez gardé le contact avec lui ?

Oui, oui. On fait des repas d’anciens de temps en temps. Il est venu à Saint-Tropez récemment. Il y a un ancien Lyonnais là-bas, Marcel Aubour. Donc on se voit souvent. Tous les ans, on organise un repas. La dernière fois, Bernard est venu avec Fleury d’ailleurs. Donc, voilà, on se revoit un peu.

 

 

Olympique Lyonnais

 

« Le gardien, on va dire Grégory Coupet. L’arrière droit, euh, Domenech. Après, défenseur central, le policier là ! Cris. En stoppeur, Baeza, qui jouait à mon époque. À gauche, Abidal, sans discussion. En milieu de terrain, Juninho et puis les deux qui sont partis au Real et à Chelsea, Diarra et Essien. C’était le milieu de terrain magique. Attaquant gauche, Malouda. Devant… C’est difficile. Il y a les jeunes du moment, il y a Benzema, il y a Anderson, Lacazette, Fékir… Moi ? Ah non, non. À l’époque où je jouais, on ne jouait pas les premiers rôles. Je pense qu’en 9, c’est soit Lacazette, soit Benzema. Allez, Fékir à droite, avec Lacazette dans l’axe. Il a été élu meilleur joueur, donc on va le mettre à la place de Benzema, parce que Benzema, il a surtout flambé à Madrid. Pas plus d’anciens ? Non. Vous savez, quand vous avez de bons joueurs, vous finissez premiers et quand vous en avez de moyens, vous êtes en milieu de tableau. C’est ceux qui ont permis à l’OL d’être dans les premiers qui doivent se retrouver dans l’équipe-type. »

 

Pour reparler de la finale de 1971, c’est le dernier trophée remporté par le Stade Rennais. Du coup, vous faites aussi partie de l’histoire de Rennes, en n’y ayant joué que six mois !

Oui, les pauvres, ils ont rejoué deux finales et ils ont perdu les deux (1). C’est triste. En tout cas, je garde un bon souvenir de Rennes. C’est un endroit où il y a un bon public et la Bretagne, c’est beau. Je ne suis pas resté longtemps, mais j’ai beaucoup apprécié.

Vous vous voyez demeurer encore longtemps le dernier joueur à avoir offert un trophée au club ?

Non, non. Moi j’aimerais bien qu’ils gagnent. Le public de Rennes le mérite. J’étais triste pour eux après les finales perdues.

Pourquoi n’y êtes vous resté que six mois ?

C’était la première année, quand j’étais à Rennes, où j’étais libre. J’avais signé un contrat de dix-huit mois, mais au bout de six mois je pouvais décider de partir. Cela fonctionnait comme ça, avec le contrat à temps, quand on avait atteint l’âge de 30 ans. À mon âge, je pouvais encore signer un dernier contrat et comme j’avais fait une bonne fin de saison avec cette victoire en Coupe de France, j’ai choisi d’aller au plus offrant. Je me suis retrouvé à Toulon, qui était en D2 mais qui voulait monter en D1. J’ai failli aller à Bastia à l’époque. Mais Toulon est arrivé et l’offre était plus intéressante.

Vous passez deux saisons à Toulon, sans réussir à monter en D1…

C’était un peu bizarre. Le club n’était pas structuré, pas comme à Lyon. Il y avait de bons joueurs, cela dit, comme Christian Dalger, qui a joué à Monaco par la suite. Mais, à côté, c’était assez moyen. Moi, je me suis blessé. J’ai commencé à avoir quelques pépins physiques. Je sentais qu’il était temps de me reconvertir. Je suis alors parti à Nevers, encore en D2, parce qu’en parallèle de ma carrière de footballeur, je m’occupais des relations publiques pour Le Coq Sportif. Je travaillais avec Michel Jazy, qui lui s’occupait de l’athlétisme, et Jean-Claude Bouttier, pour la boxe. Je faisais de la promotion, notamment sur le Tour de France. J’étais entré par connaissances et Le Coq Sportif m’avait dit que, quand j’arrêterais ma carrière, ils me prendraient comme commercial. Il s’est trouvé qu’au moment où j’ai quitté Toulon, il n’y avait qu’un secteur de disponible, le centre de la France. Je suis allé à Nevers et j’ai terminé ma carrière là-bas, au bout d’un an, avant de revenir m’installer définitivement à Sanary.

Puisque vous êtes originaire de Bourg-en-Bresse, vous avez dû suivre le parcours du FC Bourg-Péronnas, promu en Ligue 2 ?

Ah bien sûr ! J’ai suivi ça de près à la télé, sur la 126, là… (Ma Chaîne Sport) Vous savez que le mur du stade, c’était le mur de mon jardin ? J’ai mon frère et ma sœur qui y habitent toujours. Quand vous arrivez au stade, juste à l’entrée, vous avez une maison qui est sur la droite. C’est celle de mon frère. Et mes parents avaient une ferme juste derrière le stade. Le jeudi, comme on n’avait pas école, on passait par-dessus le mur et c’était parti pour cinq heures de foot. C’est pour ça que je suis le club de très près, parce que ça me paraît tellement énorme… À l’époque où j’y habitais, ils étaient en Promotion d’Honneur et là ils montent en Ligue 2. Je ne sais pas comment ils vont faire, parce qu’avec le stade et les infrastructures qu’ils ont, la Ligue ne va sûrement pas accepter. Le stade n’est pas fait pour la 2e division. On verra. Mais, Bourg en Ligue 2 l’année prochaine, ce serait exceptionnel. Avec Lyon en Ligue des Champions et dans leur nouveau stade… D’ailleurs, faut que j’appelle Bernard Lacombe. Je compte bien être là pour le premier match dans le Grand stade. Ce sera peut-être l’occasion de rencontrer Lacazette…

À Sanary-sur-Mer, Thomas Lacondemine

(Photos Thomas Lacondemine – Le Libéro Lyon)

 

(1) Deux en Coupe de France, les deux fois contre Guingamp (1-2 en 2009, 0-2 en 2014), plus une en Coupe de la Ligue contre Saint-Etienne (0-1 en 2013).

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