Garde : « Je rêve de continuer à faire grandir le club »

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ENTRETIEN. Rémi Garde a déjà passé vingt-quatre années de sa vie à l’Olympique Lyonnais. Et à l’écouter, il est prêt à reprendre pour autant. Pour le lancement du Libéro Lyon, il a accepté de revenir sur son expérience d’entraîneur mais aussi de joueur. Où il est question de Derby, de Serge Chiesa mais aussi « du jeu, du jeu et du jeu ».

 

On ne va pas vous mentir : on s’est un peu couru après. Et à 47 ans, Rémi Garde court encore vite. Il faut dire que ces dernières semaines ont été particulières, entre une série de trois défaites, que les deux petites victoires qui ont suivies n’ont pas annulées, et la préparation du Derby le plus chaud depuis une éternité. Mais Rémi Garde s’était engagé et il a tenu parole, vendredi après l’entraînement. « Dix minutes. » Ce sera plus de vingt. Parce que Garde respecte ses contrats. Et parfois, il est même prêt à aller au-delà.

« Si on n’est pas trop con et si aime ce qu’on fait… »

Depuis que vous avez pris l’équipe, alors que Saint-Étienne est sur une bonne dynamique et qu’il avait gagné à Gerland l’année précédente, vous avez non seulement gagné tous les derbys, mais sans jamais trembler. Quelle est la part du facteur « Garde le Gone » là-dedans ?

Je pense qu’elle est la même que celle de tous les autres gones qui jouent dans l’équipe, que ce soit Alexandre Lacazette, Clément Grenier et tous ceux qui ont eu la chance de connaître ces confrontations gamins. On les a déjà appréhendées, on les a déjà jouées : on sait que c’est difficile, haché, que ça a certaines caractéristiques. Maintenant, Saint-Étienne avait eu aussi une période très faste au niveau des derbys, voilà, ça s’est inversé. Mais je pense que le fait d’être plusieurs pour qui cette notion de Derby parle vraiment au niveau du cœur, c’est un facteur important.

Un entraîneur invaincu contre Saint-Étienne, pour les supporters, ça compte.

Oui, bien sûr, je ne minimise pas le fait d’avoir joué et gagné les quatre derbys depuis que je suis entraîneur. J’en suis très content. Mais ça ne donne aucune certitude pour le cinquième match, malheureusement…

Est-ce que c’est confortable d’être entraîneur dans son club, ou ça rajoute de la pression, des contraintes ?

Non, ça a un côté confortable parce que vous connaissez les gens, l’environnement, le fonctionnement. Et les gens vous connaissent : certains, les proches, peuvent vous dire : « Tu déconnes, là. » Mais ils vous le disent par sympathie, parce qu’ils ont envie que ça marche. Parce qu’ils voient que ce que je fais, ou ce que je ne fais pas, est bizarre. Évidemment, tout le monde ne me dit pas ça, mais le fait d’être chez soi permet que les proches puissent me dire ce genre de choses, et ça, c’est important.

Une carrière à la Ferguson ?
« Sincèrement, je suis plus dans cette optique »

Quand on entend certaines personnes qui doutent que Guardiola puisse réussir ailleurs qu’à Barcelone, est-ce que vous vous dites qu’on vous le ressortira un jour ?

Je ne me le suis pas dit parce que je n’ai pas ça en tête pour le moment. Mais ça peut être dit, oui. Maintenant, on apprend vite. Je pense être quelqu’un qui écoute, qui apprend. Bien sûr que, sincèrement, je ne me serais pas senti capable de démarrer ailleurs. Maintenant, après deux ans, le discours est différent : j’ai dû résoudre beaucoup de problèmes, affronter beaucoup de situations, de joueurs différents, j’ai préparé des matchs différents, de Ligue des Champions, des finales, etc. Sans avoir fait le tour de la question, si on n’est pas trop con et si aime ce qu’on fait, on acquiert de l’expérience.

Entraîner ailleurs, c’est un défi obligatoire ?

Pas forcément. Ici, l’histoire est belle aussi, il y a des projets magnifiques, ce nouveau stade sera magnifique, le centre de formation marche bien. Pouvoir avoir une équipe composée majoritairement de jeunes joueurs issus du centre de formation, du travail de tous nos éducateurs, d’une politique mise en place par le club… Moi, je rêve de continuer à faire grandir le club. Bien sûr que le club a connu les dix dernières années une prospérité exceptionnelle qui en a fait le meilleur club de France. Aujourd’hui la situation est différente. Mais il y a une possibilité de faire quelque chose de formidable et de rentrer dans le grand stade avec une très belle équipe.

Faire une carrière à la Wenger ou à la Ferguson, ça peut être un rêve ?

Oui ! Oui ! Sincèrement, je suis plus dans cette optique que d’aller me prouver ou que d’aller prouver à qui que ce soit que je peux entraîner à l’extérieur. Maintenant, vous savez, les plans sur la comète, dans le milieu, c’est compliqué.

« J’étais presque perdu pour le football »

Quel genre de joueur étiez-vous ?

J’étais quelqu’un qui aimait le jeu pour le jeu. J’étais aussi, malheureusement, quelqu’un qui a été énormément gêné par des blessures. J’ai fait beaucoup d’efforts pour revenir avant même d’avoir commencé puisque j’ai eu deux graves blessures entre 18 et 20 ans, je n’ai pas joué. J’étais presque perdu pour le football. Pendant que mes copains du centre de formation avançaient, moi je reculais. Donc ça a été une période très difficile qui m’a fait grandir mentalement. Je pense que j’étais très fort mentalement. J’étais fort parce que, j’y reviens, j’étais passionné par le jeu. Je jouais pour gagner, bien évidemment. Mais ça, ce sont plus les gens qui ont travaillé avec moi qui me le rapportent. Par exemple, Robert Duverne, qui m’a fait travailler et qui travaille aujourd’hui à mes côtés, me dit souvent : « T’aurais jamais accepté ça toi, t’aurais jamais accepté de perdre là, tu aurais refusé ce laisser-aller ! » Et moi, je n’avais pas conscience de ça, j’avais uniquement conscience d’une chose, c’était de vouloir jouer, jouer, jouer, tout le temps. Je pouvais faire des entraînements où je ne savais pas si mon équipe perdait ou si elle gagnait. Ce n’était pas ça le problème pour moi. C’était le jeu, savoir comment on faisait pour gagner, comment je faisais pour aider le copain, comment il faisait pour m’aider. Voilà, c’était la stratégie collective. Donc j’étais ce genre de joueur qui, au travers de la passion du jeu, voulait gagner.

Vous étiez un relayeur plus qu’un gratteur de ballon ?

J’étais un relayeur, j’avais besoin de beaucoup courir. Il fallait que je sois dans la construction du jeu, que je coure beaucoup. Je n’étais pas spécialement un passeur décisif mais j’avais une grosse activité, je pense que j’avais un gros volume de jeu, avec une bonne frappe, j’ai marqué quelques buts de loin. Et puis après, pour les besoins de la cause, Raymond Domenech m’a fait reculer libéro. Il y avait eu un mauvais recrutement une ou deux années de suite, donc en cours de saison, il a voulu que je joue derrière avec Bruno N’Gotty. Donc on était une charnière 100% club, et très jeune. Complémentaire, aussi. Bruno avait un physique monstrueux, et moi j’étais celui qui faisait repartir le jeu de derrière, c’est ce que souhaitait Raymond Domenech. Je n’ai jamais été emballé par ce poste-là. Je voyais bien que j’avais quelques aptitudes, à mon grand étonnement. Mais j’ai toujours voulu retourner au milieu.

Quand Michel Platini (sélectionneur de l’équipe de France de 1988 à 1992) vous appelle, il vous prend à quel poste ?

Pour être milieu de terrain. Mais il me fait quand même jouer trente minutes défenseur central, contre l’Allemagne, à Montpellier, en 1990 (victoire 2-1 face aux futurs champions du monde, ndlr).

Olympique Lyonnais

Rémi Garde, vendredi, sur les terrains de Tola Vologe. (Photo Gaspard Moreau – Le Libéro Lyon)

« En 1993, il y a une usure. J’ai besoin de me libérer »

Qui était votre modèle à vos débuts ?

Il y a quelqu’un qui m’a marqué ici, que j’ai croisé au tout début de ma carrière et avec qui j’ai eu la chance de m’entraîner un petit peu, c’est Serge Chiesa (à l’OL de 1969 à 1983). Par ce que c’était un joueur de petite taille, comme moi. J’ai longtemps été petit donc il fallait que je me débrouille autrement qu’avec le physique. C’était un joueur merveilleux, et c’était aussi quelqu’un d’assez discret, dont on parlait uniquement pour ses exploits sportifs, et c’est ce qui me plaisait.

Et aujourd’hui, quel joueur vous ressemble dans le jeu ?

Quelqu’un qui a beaucoup d’activité. Peut-être le petit Marvin Martin. Ce genre de joueur qui demande beaucoup le ballon, qui fait des passes, qui a une grande activité. Mais j’étais plus dans la construction qu’à la finition. La dernière saison à l’OL (1992-93), j’ai beaucoup marqué, mais je dois avoir 8 ou 9 pénaltys sur les dix buts. Je ne pense pas non plus avoir fait beaucoup de passes décisives. En cela, je ne ressemble pas à Marvin Martin, qui est un passeur décisif, et un très bon passeur.

Pourquoi quitter l’OL en 1993 ?

En 1993, il y a une usure. On a fait cinq ans ensemble, avec Raymond Domenech, avec pas mal de joueurs, et après avoir donné une très belle impulsion au club les trois premières années, les deux dernières années sont un petit peu plus difficiles. Après avoir accroché la Coupe d’Europe assez rapidement, le club se cherche en D1. On est plutôt en lutte pour le maintien (16ème en 1992, 14ème en 1993). Moi, je suis international et je veux essayer de continuer à avoir une trajectoire ascendante, contrairement à celle du club dont la situation est un peu pénible… Je sens le poids des responsabilités ici, j’ai besoin me libérer un peu. Et après avoir longtemps espéré aller à Monaco ou à Bordeaux, finalement c’est Strasbourg qui paye le transfert que le club réclame. Je me retrouve à Strasbourg, dans une belle équipe, mais dans un club un peu compliqué aussi…

« J’aimerais rester sur le même système »

Gérard Houllier (sélectionneur de juillet 1992 à novembre 1993), il vous convoque en équipe de France ?

Il me convoque une fois, en août 1993, dès mon arrivée à Strasbourg. Mais malheureusement, je ne vais pas au rassemblement parce que je suis blessé à ce moment-là. Après, je crois que je ne suis plus convoqué.

Quand vous vous retrouvez à Lyon pour travailler avec lui et être son adjoint, vous lui en voulez un peu ?

Non, pas du tout. Je pars du principe que dans le foot, on a ce qu’on mérite. Dans la vie aussi. Il y a un moment, je ne sais plus si c’est encore lui le sélectionneur, où je retrouve un très très bon niveau à Strasbourg. J’aurais peut-être pu être rappelé. Mais il y avait probablement un groupe en place et ça ne s’est pas fait.

Vous avez souvent changé de système depuis que vous êtes sur le banc. Cette flexibilité, au-delà des absences, c’est une philosophie ou c’est toujours une contrainte ?

C’est une adaptation à un effectif et à des situations. Si j’avais la possibilité, j’aimerais rester sur le même système. Je ne dis pas ça pour ouvrir le parapluie, mais depuis que j’ai pris l’équipe, le club est dans une situation différente de celle qui était la sienne avant, et à aucun moment je n’ai pu constituer exactement l’effectif que je souhaitais. La politique d’austérité impose un certain nombre de choses, de joueurs, de situations. Moi, je m’adapte.

« Je ne sais même pas le montant du joueur le plus cher que j’ai acheté »

Si on vous fait un chèque de 100 millions pour recruter, vous jouez comment ?

Je pense que je joue en 4-3-3. À la lyonnaise, avec possibilité de jouer soit avec un numéro 10 et deux milieux défensifs, soit avec deux relayeurs. C’est un système que j’aime beaucoup.

Depuis que vous avez commencé à entraîner l’OL, on a l’impression que vous êtes un personnage de jeu ou de série : à chaque fois que vous remplissez une mission (lancer des jeunes, gagner un titre, être premier à la trève), ça se complique derrière (sortie d’Aulas sur les dinosaures, période de mercato compliquée, etc.).

C’est pour cela que je dis que j’apprends. Ce sont des épreuves qui font grandir. Mais je suis là pour que ça marche. Et quand la situation est claire dès le départ… Si on m’avait dit « Écoute, tu vas avoir 140 millions de budget à dépenser sur trois ans -ce n’est pas un chiffre au hasard, c’est ce qui a été dépensé avant-, tu fais ce que tu veux », et qu’aujourd’hui il se passe ce qui s’est passé sur ces deux dernières années, je rends mon tablier et je dis : « Vous n’avez pas été clairs ». Là, la situation est très claire : le club était dans une situation très difficile, très délicate, l’objectif c’est de construire un grand stade pour générer à nouveau des revenus ultérieurement. Il y a un moment où on dit « On vient de tenter quelque chose sur les trois dernières années, ça s’est mal passé, on est dans le mur… » Entre ça et le grand stade, qu’est-ce qu’on fait ? Eh ben on fait ce qui se passe en ce moment, c’est-à-dire un peu avec les moyens du bord. Alors bien sûr, les moyens du bord sont meilleurs qu’à Troyes ou ailleurs. Souvent, on me dit : « Oui, mais vous avez le deuxième budget. » Mais il faut voir pourquoi on l’a. On m’a pas donné une somme à l’entrée en me disant : «Voilà, tu te construis, t’as le deuxième budget de France.» Je ne sais même pas le montant du joueur le plus cher que j’ai acheté…

Monzon…

Peut-être Fabian Monzon. Mais je n’ai pas acheté un attaquant. Je m’adapte à une situation qui était claire au départ.

Sinon, on a eu Romarin Billong, et il nous a dit que, à l’époque du centre formation, vous lui piquiez son goûter quand il rentrait dans le car. Est-ce que c’est vrai ?

Je ne me souviens pas, mais c’est possible. Il s’en est passé dans le car. Parce que lui, il était au collège Vendôme, il était plus jeune que nous. Mais Romarin a toujours été un super mec dans le groupe, comme beaucoup, on a beaucoup de souvenirs en commun, avec de très nombreuses personnes. C’est ce qui est agréable ici : pouvoir travailler et croiser des personnes avec qui on peut peu se remémorer le lycée, voire le collège.

Propos recueillis par Pierre Prugneau

(Photo Panoramic)

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