La Duchère et les très petits poucets

La Duchère

COUPE DE FRANCE. Si la Duchère endosse régulièrement le rôle de petit poucet une fois les équipes pros entrées en lice, le club de CFA fait d’abord office d’ogre lors des premiers tours. C’était le cas dimanche contre Pont la Roche (PHR, niveau 8). L’occasion pour Zénon Zadkine de mêler ses deux passions : l’amateur et le gonzo.

 

Dimanche 12 octobre, 5e tour de Coupe de France, à la Roche-de-Glun (Drôme).

US Pont la Roche (PHR) – La Duchère (CFA) 0-1

But : Sbaï (51e).

La Duchère : Laurent – Kipré (avert., 90e), Ogier, Manga, Sbai (c.) – Romany, Fofana, Ndiaye (Fawzi, 60e) – Saline, Abdeldjelil (Niang, 80e), Idangar (Touncara, 67e). Entr. : Karim Mokeddem.

 

Même si le club du plateau doit assumer un statut de favori lors de son match face à l’US Pont la Roche (équipe de Promotion d’Honneur Régional, quatre divisions en dessous des Lyonnais), il n’en reste pas moins amateur. Alors que j’arrive sous une pluie battante au club house du stade de Balmont où toute l’équipe est réunie pour un repas de midi avant le départ, la nouvelle tombe : le minibus n’est pas disponible. Il faudra donc se rendre dans la Drôme en voitures. Après un rapide jeu de chaises musicales, je me retrouve dans le véhicule… du président. On attend de voir si Jean-Michel Aulas acceptera lui aussi d’embarquer un mec du Libéro dans sa Laguna jusqu’à San Siro pour la finale de Ligue des Champions 2016. Le principal point d’interrogation lors du trajet porte sur l’état de la pelouse, un déluge s’abattant sur Lyon alors que la Drôme est en alerte orange Météo France depuis plusieurs jours.

Échauffement à la buvette

Nous sommes rassurés dès notre arrivée à la champêtre zone sportive des Marettes par le président du club local, jeune trentenaire dynamique et bien habillé. « J’ai refait les lignes ce matin », indique-t-il en montrant le terrain puis ses chaussures couvertes de boue.

Coupe de France

Ça va, c’est à peu près droit. (Photo Zénon Zadkine – Le Libéro Lyon)

Presque deux heures avant le début du match, direction la buvette où spectateurs et membres du club commencent déjà à converger. J’apprends que l’entrée sera gratuite, mais que l’US Pont la Roche compte tout de même sur une bonne recette à la buvette et sur une « tombola où il y aura plusieurs lots à gagner, comme un maillot du club, des bouteilles de vin et un maillot de Valenciennes ». Devant le WTF de ce dernier lot, j’hésite à demander des explications mais décide finalement de limiter au maximum mes contacts avec des Drômois pour me concentrer sur mon demi.

Au comptoir, les conversations vont bon train, entre souvenirs de boulot (« T’étais dans les transports ? J’étais cariste, j’ai dû te décharger. Enfin, te décharger, on se comprend, hein ! ») et souvenirs de Coupe de France : « La Duchère est la meilleure équipe qu’on ait affrontée, mais on a déjà atteint ce tour une fois. Je m’en souviens, on s’était qualifiés aux pénos au tour d’avant, 13 à 12 au bout de la nuit ! Ah, on avait bien consommé ce soir-là… Ils nous avaient même envoyé un message en disant qu’ils s’étaient payé un voyage grâce à la recette de la buvette ! » Près du bar, un gamin en survêtement de l’ASSE est en pleine négociation. Il est prévu que les jeunes du club accompagnent les vingt-deux acteurs lors de leur entrée sur le terrain mais le morveux est formel : « Je ne veux pas donner la main à un joueur de Lyon. »

« Se payer du Lyonnais »

Et effectivement, au fur et à mesure que les spectateurs arrivent, je me rends compte que beaucoup portent des survêtements de Saint-Étienne ou des maillots floqués Perrin et souhaitent que le club local « se paie du Lyonnais ». Un peu triste mais compréhensible venant de supporters d’un club dont les victoires contre l’OL depuis vingt ans se comptent sur les doigts de la main d’un tronçonneur maladroit.

 

Coupe de France

La petite histoire ne dit pas si le jeune supporter stéphanois a donné la main à un joueur de la Duch’. (Photo Zénon Zadkine – Le Libéro Lyon)

Atmosphère hostile, et retour à la buvette pour moi afin de ne pas me faire démasquer. Devant deux cafés, un Drômois explique en riant à l’intendant de la Duchère : « On a pensé à jouer sur le synthétique, mais on s’est dit que vous seriez meilleurs. Là le terrain a l’air bon mais on l’a labouré en dessous. »

Place au match

Si la remarque n’était qu’une boutade, la hauteur de la pelouse n’aide pas vraiment à la mise en place d’un jeu agréable. Et le vent non plus. Et les averses non plus. Résultat : une première mi-temps marquée par un kick’n’rush constant qui a sûrement dû plaire à l’Anglais venu assister au spectacle en voisin (rappelons que l’Anglais est le troisième plus grand nuisible des campagnes françaises, derrière l’ambroisie et le Néerlandais). Sur son banc, Karim Mokeddem réclame à ses joueurs de poser plus le jeu avant de se rendre à l’évidence que les conditions ne le permettent pas. L’entraîneur duchérois donne alors une consigne tactique osée : il demande à Jérémy Romany (petit chouchou du Libéro Lyon pour sa sérénité défensive, sa qualité de relance et ses selfies post-victoires), recruté cet été en tant que défenseur central et qui dépanne au milieu depuis la blessure de Yacine Hima, de jouer « quasiment en neuf et demi ». Started from the bottom, now we’re presque in pointe ! Un réajustement qui ne permet pas à la Duchère d’avoir l’emprise sur le match, mais qui a au moins le mérite de rajouter un excellent joueur de tête à la retombée des longs ballons.

Roberto Sbaïos, Philippe Brunel et westerns

0-0 à la mi-temps, aucune situation dangereuse à part une tête de Jérémy Romany sur l’extérieur du poteau, et un match qui sent bon le traquenard. Petit tour à la buvette à la pause, l’occasion d’apprendre que Philippe Brunel est lui aussi présent au match. L’occasion d’apprendre aussi que le Ch’ti est actuellement entraîneur de Valence. L’occasion d’apprendre aussi que Valence évolue cette saison en Promotion d’Honneur Régional. Choqué par ce flux de révélations et par le fait que la nana de la buvette m’ait rendu plus que ce qu’elle me devait, je retrouve la main courante un peu en retard. Juste à temps pour voir le but duchérois. Déjà surnommé Roberto Sbaïos à la rédac’ pour son placement ultra-offensif, Hatim Sbaï confirme en marquant sur un coup-franc de 40 mètres. Certes, le latéral gauche souhaitait piquer sa balle pour une tête lyonnaise. Certes, le vent violent a sans doute dévié la trajectoire d’une bonne dizaine de mètres. Certes, le gardien avait la vitesse de réaction d’un escargot sous marijuana. Certes, la balle a heurté le poteau avant de rentrer à 2 km/h. Mais comme le dit la célèbre phrase de L’homme qui tua Liberty Valance : « Quand une légende devient un fait, imprimez la légende. » Hatim sera donc à jamais Roberto Sbaïos.

Main courante et selfies

Rassuré par ce but, je tape la discute avec les deux petites blondes près de moi. Le frère de l’une d’entre elles est remplaçant pour Pont la Roche et « sera exempt de vaisselle pendant une semaine s’il rentre en jeu ». N’arrivant pas à déterminer si cela était une blague ou non, je décide de me reconcentrer sur le match, en pensant aux vertus de cette méthode de motivation et au fait que je ne comprends décidément rien aux femmes, a fortiori drômoises. Revenu dans un univers plus masculin, je m’interroge au moment de la rentrée de Niang : pourquoi son prénom usuel est-il Sidy alors que le prénom apparaissant sur la feuille de match est Mamadou ? La fameuse sagesse des mains courantes de stades de campagne frappe encore : « Les blacks ils ont toujours plusieurs prénoms, c’est pour les allocs. » L’entrant n’est alors pas loin de faire taire définitivement le stade grâce à un beau raid solitaire, mais son tir est contré in extremis par un défenseur. Dans une très belle ambiance, les cinq dernières minutes sont alors longues pour les Duchérois. Peu sollicité jusque là, le portier Franck Laurent doit s’employer à plusieurs reprises sur des balles pas évidentes à cause du vent. Après un dernier accrochage dans la surface qui aurait peut-être pu valoir penalty pour les locaux, l’arbitre siffle enfin la fin du match. Dernier passage à la buvette pour tout le monde, alors que les résultats de la tombola sont annoncés par megaphone. Dans la voiture, le constat est unanime : l’important c’était de gagner et de poursuivre sa route. Pour continuer à rêver du Stade de France. Et à d’autres selfies de Jérémy Romany.

Et la réponse parfaite des joueurs de l’US Pont la Roche. Verres de Ricard à la main, comme il se doit.

À la zone sportive des Marettes, Zénon Zadkine

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