Adieu l’OL, je t’aimais bien : Maxime Gonalons, ou la défaite du cœur

Gonalons

ADIEUX. Maxime Gonalons quitte Lyon. Ces quatre mots, qui auraient dû rester un oxymore, renferment toute la vulgarité et l’indigence de l’Olympique Lyonnais en 2017. La Plaisante Sagesse Lyonnaise, bréviaire de maximes et réflexions morales de 1920 à laquelle tout Lyonnais doit se référer dans les moments de détresse, nous rappelle une vérité : « il n’y a point si tant belle rose que ne devienne gratte-cul. » Cette formule synthétise avec tout le bon sens qu’on trouve entre Rhône et Saône le destin de Maxime Gonalons à l’OL. Un gone de Vénissieux érigé en symbole, avec un brassard bleu nuit sur lequel son nom se mélange à celui des enfants de la ville, chassé comme un malpropre par ceux qui l’ont fait roi.

 

Si Max choisit de se tourner vers La Plaisante Sagesse Lyonnaise pour se consoler, il lira aussi que « pour ce qu’est de la chose de l’amour, n’y sois pas regardant, parce que, vois-tu, que t’en use ou que t’en use pas, ça s’use ». De quoi méditer sur l’usure rapide d’une relation sincère et sur une saison médiocre, marquée par la naissance d’un deuxième enfant et les problèmes de santé de son nouveau-né. Car rien ne lui a été épargné cette saison. Il faut espérer que tous ceux qui l’ont violemment critiqué depuis septembre sont aussi exemplaires dans leur vie professionnelle quand leur équilibre personnel est fragilisé. Oui, Maxime Gonalons a été mauvais cette saison. Il a raté beaucoup de passes, gravé pour l’éternité dans l’histoire lyonnaise sa relance plein axe dans les pieds des joueurs adverses à force de répéter le geste, manqué de ténacité et de justesse dans ses interventions, abandonné sa défense à de nombreuses reprises. Et alors ? Les supporters qui l’ont cloué au pilori toute la saison ont fait preuve d’une volatilité écœurante. Avec son départ en catimini, ils n’ont que ce qu’ils méritent. On a ainsi pu entendre au stade et lire à l’envi sur Twitter des « Gonalons, dégage », à croire que le dégagisme a gagné tous les terrains de la société en cette année d’effervescence politique. On a même lu des critiques sur sa « voix fluette » quand il s’adresse aux supporters du virage Sud, des remarques indignées sur son « manque de courage » parce qu’il ne tire pas dans les cinq premiers lors de la séance de tirs aux buts face au Besiktas en quart de finale de la League Europa, même s’il marque le tir victorieux sans trembler. On a vilipendé son impuissance lors du match aller face à l’Ajax, symbolisée par ses bras levés au moment du quatrième but. On a pointé son manque de charisme, d’envie, de talent, d’engagement. Ceux qui ont formulé ces critiques, parfois justes sur le fond mais outrancières sur la forme, manquent cruellement de mémoire, mémoire qui est pourtant à la fois une qualité, une garantie et une revendication brandie par ces mêmes supporters…

 

Tanguy Blum nous avait prévenus en 2013 : « Le départ de Gonalons, je sais que je ne m’en remettrai pas »

 

A-t-on vu les supporters de Valenciennes cracher sur José Saez quand il était moins bon ? Les supporters de Chelsea accabler John Terry quand il a baissé en régime ? Ceux qui s’extasient sur les tifosi romains réclamant l’entrée de Francesco Totti quand il traversait une période indigente sont les mêmes qui réclamaient le départ de Maxime Gonalons parce qu’il est devenu mauvais durant une saison. Cette frange des supporters est à l’image de ce qu’est en train de devenir l’Olympique Lyonnais : un club de nouveaux riches, impatient et vulgaire. Aller au stade ne donne pas tous les droits, au contraire, cela confère des devoirs, comme dans les plus belles relations amoureuses où on reçoit parfois ce qu’on donne et où on donne souvent beaucoup plus qu’on ne reçoit. Mais c’est une conception de l’amour et de l’élégance qui ne s’adapte peut-être ni à l’époque ni à « l’Institution » que devient l’OL. Voici donc venu un temps où on ne pardonne pas à ceux qu’on aime, ou plutôt un temps où on aime ceux à qui on n’a rien à pardonner. Un choix facile, mais que ces supporters ingrats se rassurent : Jean-Michel Aulas partage leur analyse, Maxime Gonalons quitte « leur » club. Qu’ils commencent aussi à s’inquiéter : c’est avec ce comportement capricieux d’infidèles sans cœur et sans honneur qu’ils videront « leur » club du peu de substance qu’il lui reste.

 

Périr par la soie

Il ne s’agit évidemment pas de refaire l’histoire en faisant de Maxime Gonalons le joueur le plus talentueux de l’histoire lyonnaise, mais simplement de se souvenir de ce qu’il a fait. La tentation d’en faire un symbole est grande, mais on doit peut-être la combattre si on veut rendre justice fidèlement au joueur de l’OL qu’il a été. Même si la mémoire et l’intégrité doivent être brandies en étendard dans un contexte qui laisse de moins en moins de place à la vérité, dans un sport gangrené par un langage formaté où les formules toutes faites et le prêt à penser ont remplacé l’expression sincère ou poétique des émotions. Il faut être fort pour discerner les caractères derrière cette novlangue atroce reprise par les joueurs, les journalistes, les supporters et les dirigeants où un joueur qui enchaîne trois bonnes passes « pue le football », où un jeune de CFA est une « pépite », où son club formateur est un « club de cœur », où les joueurs sont des « compétiteurs», où le moindre défaut est lissé et les faits et gestes d’adolescents mal dégrossis disséqués sur les plateaux de radio et de télévision. La soupe tiède que servent les joueurs sur leur « club de cœur », la façon dont on les oblige à afficher leur exemplarité et leur fidélité avec force exagérations sous peine d’être suspects, leurs posts Instagram artificiels et leurs tweets sans âme suivis des couleurs du club en font des objets commerciaux à qui on peut ensuite difficilement reprocher de jouer avec les valeurs qu’on a galvaudées avant eux. Dans ce contexte, choisir d’aimer un joueur est un engagement simple et salutaire et Maxime Gonalons est un de ces joueurs lyonnais que les Lyonnais avaient tout pour aimer. Né à Vénissieux, footballeur à Reyrieux, dans l’Ain, puis au FC Villefranche-Beaujolais et enfin à l’Olympique Lyonnais, où il arrive à 11 ans en 2000, il progresse avec constance au centre de formation jusqu’en 2008. Il contracte un staphylocoque doré, manque d’être amputé et passe six mois loin des terrains. Claude Puel l’intègre ensuite au groupe professionnel en 2009 et Maxime connaît sa première titularisation le 25 août, en Europe, face à Anderlecht lors du match retour. Il naît au football et dans le cœur des lyonnais trois mois plus tard, le 20 octobre, en égalisant pour l’OL à Anfield, d’une tête plongeante après un renvoi en catastrophe de Reina à la 72ème minute et avant le but de Chelito qui scelle la victoire lyonnaise. Il devient numéro 6 à la place de Jérémy Toulalan, puis Rémi Garde lui confie le brassard à la suite du départ de Licha en 2013, posant ainsi les bases d’une nouvelle identité sur laquelle l’OL fondera sa communication, qui s’appuie sur les jeunes formés au club. De son propre aveu, ce brassard a été un cadeau empoisonné pour lequel il a dû se faire violence. Comme Héraclès à qui sa femme Déjanire fit porter la tunique ensanglantée du centaure Nessus pour le rendre fidèle, Gonalons a fini consumé par ce morceau d’étoffe. Ironie cruelle, la version lyonnaise de la tragédie de Sophocle est conforme aux traditions : quoi de mieux pour un gone que de périr par la soie ?

 

Mersey pour ce moment

 

8 saisons, 334 matchs, 12 buts, 11 passes décisives. 1m87, 76 kilos, numéro 41 puis numéro 21, comme Tiago. 1 coupe de France et 1 trophée des Champions : une armoire à trophée maigre comme lui. Voilà ce que les statistiques et la France du football retiendront de Maxime Gonalons. De Mermoz à la Croix-Rousse, de l’Arbresle aux Monts d’Or, de la Duchère à Fourvière, de Gerland à Décines, de Saint-Priest à Dardilly en passant par Bron, Rilleux, Décines, Vaulx, Saint-Genis Laval, Tassin, d’autres se souviendront d’un visage en lame de couteau qu’ils ont connu glabre puis barbu, d’un homme qu’ils ont vu grandir sous leurs encouragements, de deux grandes jambes en fer forgé capable de couper n’importe quelle vague d’attaque. D’un enfant égaré flottant dans un grand maillot blanc sur les bords de la Mersey, incrédule, le poing levé vers le ciel anglais. Ils se rappelleront la jouissance ressentie quand il a vengé toute une ville en séchant Thiago Motta avec une tacle d’une violence inouïe un soir de quart de finale de Coupe de France. Ils aimeront repenser à la façon unique qu’avait leur cœur de se serrer quand ils voyaient un Gonalons élégant remonter le terrain balle au pied puis faire une passe venue d’un autre monde par-dessus le milieu adverse. Ils retiendront l’amour irrationnel qui faisait pulser le sang plus fort dans leurs veines, l’envie de casser du béton avec leur crâne quand Gonalons taclait, l’impression que tout devenait possible et que l’univers n’avait plus de début ni de fin, le rougeoiement du ciel au-dessus de Gerland quand le capitaine de l’Olympique Lyonnais transformait son tibia en mur et son regard en feu. Ils chériront le souvenir d’un enfant de Lyon pudique, tout en intériorité et en droiture, à l’image de sa ville, que le combat transformait en chien de l’enfer écumant, la bave aux lèvres et la tête dressée comme un gladiateur.

Au-delà de la forme minable, pathétique, indigne d’un club professionnel et d’une institution lyonnaise quelle qu’elle soit, la fin de Maxime Gonalons à l’OL est aussi la mort d’une idée. Celle d’un joueur lyonnais amoureux de Lyon, passionné par sa ville et son club, qui n’a jamais menti ni intrigué, d’un joueur discret et courageux, peu vendeur, sans tatouages, lisse en apparence et peu disposé à se livrer, comme la ville qui l’a enfanté. Ses parties de pêche avec Mathieu Gorgelin, Lisandro, Robert Duverne et ses amis d’enfance appartiennent désormais à l’histoire. Chez lui à Gerland, chez lui à Décines, le seul joueur de l’OL à avoir disputé deux demi-finales européennes va partir de chez nous. Comme toutes les séparations, celle-ci est douloureuse, et comme toutes les émotions en demi-teintes suscitées par l’OL depuis deux ans, elle est sale et sans éclat. « Je ne veux pas rester à Lyon si les ambitions sont à la baisse » a-t-il déclaré avant la demi-finale retour de l’Europa League contre l’Ajax. Le genre de phrases que la direction et les supporters ont pardonné à Alexandre Lacazette. Le genre de phrases que Steven Gerrard avait eue en 2004 et en 2005 quand Chelsea lui faisait du pied. Une déclaration malheureuse a suffi à justifier la guillotine, et au moment de voir la tête de l’enfant du pays rouler dans le panier on peut regretter que le bourreau n’ait pas l’élégance de la montrer au peuple, car elle en vaut la peine.

 

Adieu Max, adieu l’OL

Les supporters de l’OL devraient être outrés de la manière dont ce départ est traité. Leur passivité est une insulte à l’amour que mérite ce club. Accepter qu’on débarque Maxime Gonalons comme on vidange un réservoir sale, c’est baisser les bras et accepter que notre club devienne porteur d’une indécence qui confine au sordide. Un club sûr de lui, qui ignore les signaux d’alarmes tirés par ses supporters (concernant Bruno Genesio par exemple) et qui casse les belles choses dans un accès de vulgarité dont on commence à redouter qu’il soit le signe de quelque chose de plus grave. L’OL urine sur les crampons d’un de ses enfants sans même le regarder dans les yeux. Lâcheté ultime ou refus de voir la vérité en face, qu’importe : cette attitude est à vomir. Au cours des trois dernières décennies, Jean-Michel Aulas s’est révélé être un président visionnaire et un excellent gestionnaire. Il s’est battu sans relâche pour son club et est incontestablement l’homme auquel l’OL moderne doit tout. Ces derniers mois ont prouvé que c’est aussi un homme sans cœur et dépourvu de savoir-vivre. En privant Maxime Gonalons d’un au revoir aux supporters, en exfiltrant son capitaine par la petite porte, en mettant sous le boisseau un symbole si précieux il vient de détruire l’incarnation d’un idéal qu’il avait mis plus de vingt ans à construire. Il devrait se rappeler cette autre maxime de la Plaisante Sagesse Lyonnaise : « vois-tu, bien des fois qu’arrive que, malgré ses sous, un homme riche ne soye quand même qu’un pauvre homme ». Ce qui vaut pour l’homme en question vaut aussi pour le club.

Adieu Max, adieu l’OL.

Tanguy Blum

(Photo Damien LG)

Commenter

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>