Sébastien Faure : « J’ai toujours bossé autant »

Sébastien Faure

ENTRETIEN. Lyon, Glasgow, Chasselay : le parcours de Sébastien Faure ressemble à celui d’un étudiant en Erasmus. Le défenseur central n’est pourtant pas parti en Écosse pour profiter de la vie et picoler (même s’il avoue l’avoir fait « une fois lors d’une Christmas Party, une institution là-bas. Je suis arrivé au petit-déjeuner et je me suis retrouvé avec une pinte sous le nez. Mais eux étaient tous branchés billard et fléchettes, du coup ils passaient du temps dans les pubs »). 

On s’est dit que donner rendez-vous à un ancien joueur des Rangers au Wallace, pub écossais du vieux Lyon, était une bonne idée. On avait totalement oublié qu’on était un week-end de Saint-Patrick. L’interview s’est donc déroulée sous des drapeaux irlandais, ce qui a rappelé des souvenirs à Sébastien Faure. S’il était remplaçant lors du seul Old Firm contre le Celtic disputé en trois ans en Écosse, il se souvient parfaitement du stade ce jour-là : « C’était une demi-finale de coupe de la Ligue, sur terrain neutre à Hampden. C’est un match entre deux équipes écossaises, mais la moitié du stade était recouverte d’Union Jack et l’autre de drapeaux irlandais. » Rencontre avec un gros bosseur qui s’entraîne toujours comme un pro en CFA.

 

« J’ai plus réussi par rapport à mon mental que par rapport à mon talent »

En centre de formation, il y a les joueurs naturellement doués et puis il y a les autres. En 2011, le sélectionneur de l’équipe de France U20 Francis Smerecki présentait ainsi son défenseur central Sébastien Faure comme « un garçon sérieux, faisant tout pour réussir. » Un euphémisme et une réputation de bon élève que Faure, aujourd’hui âgé de 26 ans, assume : « J’ai plus réussi par rapport à mon mental que par rapport à mon talent. Certains joueurs ont la chance d’avoir ce talent sans vraiment travailler, moi je suis arrivé à l’OL avec des capacités, mais je savais qu’il fallait vraiment bosser pour essayer de passer au niveau supérieur. Je ne me le cache pas. J’ai vraiment progressé les deux années avec Armand Garrido en 15-16 ans et j’ai toujours autant bossé, même aujourd’hui à Chasselay. »

« Je peux me targuer d’avoir joué avec mon club formateur »

Avant d’arriver dans le village des Monts d’or, Faure a joué un match en pro à l’OL : « Contre Metz, en coupe de la Ligue. J’avais 17 ans et 9 mois. Pour un défenseur, jouer à moins de 18 ans c’est rare. C’est un bon souvenir, même si c’est compliqué à dire avec la défaite (1-3). Je peux me targuer d’avoir joué avec mon club formateur. Malheureusement je ne suis pas tombé sur le bon match. On était favoris à Gerland, il y a eu plusieurs erreurs individuelles. C’était une grosse douche froide et le coach ne m’a pas redonné ma chance pour jouer avec l’équipe première. »

 

Taulier des équipes de France jeunes, Faure signe finalement son premier contrat pro en 2011, trois ans après ce match de coupe de la Ligue : « En rentrant de la coupe du monde U20, j’ai signé un contrat d’un an avec deux ans en option. J’ai joué avec Umtiti en CFA, moi axe droit lui axe gauche. Quand il fallait aller s’entraîner avec les pros, j’étais plutôt devant lui. Et le problème c’est que je me suis blessé au petit orteil début décembre. Sam est parti faire le stage d’hiver et c’est lui qui a démarré le match contre la Duchère en coupe de France (en janvier 2012). Là, Landry Chauvin, entraîneur de Nantes, a appelé mon agent. Il me voulait tout de suite. J’ai fait un essai de deux ou trois jours, mais je n’avais pas totalement récupéré, donc ça ne s’est pas fait. Ensuite, je n’ai pas pu rejouer avant mars. Ça me faisait mal quand je courais, ce n’était pas vraiment cicatrisé. Et puis on est arrivés dans une fin de cycle : en fin d’année, ils faisaient jouer les jeunes en CFA plutôt que nous, les Tafer, Kolodziejczak, Chevalerin, Fontaine, Seguin, moi…  Mes deux années optionnelles n’ont pas été renouvelées. »

« Ils nous rentraient dedans »

Désormais libre, Faure fait le choix de l’étranger. Ce sera en Grande-Bretagne, où son profil de défenseur puissant plait visiblement : « Déjà en 2011, j’ai signé un peu tard parce que West Ham était vraiment intéressé. L’OL voulait à tout prix que West Ham paie les années de formation. Ils auraient pu payer 50K€, 100K€, 150K€, mais pas les 800K€ voulus. » Après quelques essais en Angleterre, son conseiller lui propose finalement de rejoindre l’Écosse et les Rangers, tout juste rétrogradés administrativement en quatrième division.

 

Faure

« Quand mon ancien agent m’appelle, je n’étais pas vraiment convaincu. Je venais de faire quatre ans de CFA à Lyon, je me suis dit que j’allais encore jouer en quatrième division. Il m’a dit “Seb, vas-y au moins trois jours, il y a un match mardi soir”. Même si je connaissais les Rangers, je ne pouvais pas m’attendre à ça. J’ai fait deux jours d’essai et j’ai été voir le match. C’était un premier tour de coupe de la Ligue contre East Fife et il y avait 45.000 personnes à Ibrox. C’est exceptionnel. J’ai tout de suite appelé en disant que s’ils étaient toujours intéressés, je n’hésiterais pas à rester là-bas. » (photo Rangers)

 

Jouer contre les Rangers en championnat c’était inimaginable pour eux avant cette rétrogradation. Toutes les semaines, c’était la guerre en première mi-temps. Ils nous rentraient dedans.

L’opération reconquête commence alors pour les Rangers, club qui a toujours des infrastructures pros mais affronte des amateurs. « En quatrième division on finit avec 24 points d’avance, en troisième division on finit avec 39 points d’avance. Certains de nos adversaires étaient maçons, postiers, travaillaient à la mairie… C’était des bleds comme Chasselay ou Cailloux-sur-Fontaine, d’où je viens. Jouer contre les Rangers en championnat c’était inimaginable pour eux avant cette rétrogradation. Toutes les semaines, c’était la guerre en première mi-temps. Ils nous rentraient dedans. Après, physiquement ils étaient plus faibles. Quand on arrivait à marquer en première mi-temps, ça allait. Mais quand on rentrait aux vestiaires à 0-0 ou 1-1, ils s’accrochaient, ils ne lâchaient jamais rien. Ils étaient en dessous de nous, physiquement, techniquement, tactiquement. C’est vrai. Mais au niveau du mental et de l’état d’esprit, ils nous rentraient dedans. Y avait quatre matchs contre chaque équipe, deux allers, deux retours, mais c’était quatre matchs de coupe d’Écosse. Pour nous, c’était bien, on n’avait aucun match facile. Ils respectaient les Rangers mais sur le terrain ils nous rentraient dedans. » 

« On ne jouait jamais à l’extérieur »

« À Ibrox, on avait vraiment l’impression que c’était un match de Premier League. Il y avait les télés à chaque fois, on était retransmis par BT Sport ou par Sky Sports. Et à l’extérieur on jouait dans des bleds paumés, sauf qu’il y avait 4.000 ou 5.000 personnes. La moitié de la tribune était pour l’équipe adverse, et l’autre moitié toute bleue. Les supporters des Rangers faisaient trois ou quatre heures de route pour venir nous voir jouer. Mon premier match à l’extérieur, on va jouer à Berwick, un club qui est en Angleterre et qui joue en Écosse. On sort, il y a des fumigènes et tout autour du stade était bleu. En fait à part le terrain et l’environnement, on ne jouait jamais à l’extérieur. Surtout en quatrième division. Quand on est montés, il y avait un peu plus de supporters adverses. En quatrième division on jouait à Ibrox un week-end et la semaine suivante on jouait à l’extérieur, mais avec les supporters des Rangers. »

Sack the board

Les Gers alignent deux montées en deux ans, mais échouent finalement en finale de play-offs contre Motherwell la troisième année. La montée en première division est retardée d’une année. « Au début de l’année tout le monde disait que la D2 était plus intéressante que la D1 : il y avait Hearts, Hibernian, les Rangers, Falkirk… Le Celtic n’avait pas vraiment de concurrents, ils étaient tous en Championship. » Et l’ambiance n’est plus aussi sereine : « Ça a commencé à se dégrader la deuxième année, il y a eu beaucoup de soucis avec la direction. C’était compliqué à suivre. Les supporters ont fait pas mal de grèves. On est passés de 45.000 personnes en quatrième division à 25 ou 30.000 en seconde division. Les gens ne venaient plus au stade, ou venaient avec des cartons rouges ou des banderoles contre la direction, des “Sack the board” à tout va. C’était un climat un peu délétère et les résultats n’ont pas suivi au début. Y a eu pas mal de recrutement, le retour de joueurs emblématiques des Rangers comme Kris Boyd ou Kenny Miller, des bons joueurs mais qui n’ont pas apporté tout de suite ce qu’ils auraient dû. Et on a eu trois entraîneurs en une saison. C’était une année compliquée sur plusieurs points. »

« On était quinze en fin de contrat »

On arrivait fin mars début avril et on ne savait pas qui allait être entraîneur la saison suivante ou si le board allait changer. On était un peu dans l’expectative. On jouait pour monter, mais on savait que même si on réussissait on n’allait peut-être pas être gardés. On en parlait entre les joueurs.

Les play-offs se déroulent sans Faure, blessé gravement en mars. Un pépin physique qui tombe mal pour le Français, dont le contrat arrive à expiration à l’été 2015. « On était quinze à avoir un contrat qui se finissait en fin de saison, pour anticiper la remontée. Si on remontait, les dirigeants pouvaient recruter pas mal pour essayer de concurrencer le Celtic. Sur vingt-cingt joueurs, c’est compliqué. On arrivait fin mars début avril et on ne savait pas qui allait être entraîneur la saison suivante ou si le board allait changer. On était un peu dans l’expectative. On jouait pour monter, mais on savait que même si on réussissait on n’allait peut-être pas être conservés. On en parlait forcément entre les joueurs. On était quinze à être en fin de contrat et, à part Kenny Miller qui avait une clause au nombre de matchs joués, personne n’a été renouvelé. On a été quatorze à partir sans renouvellement. Le CDD était fini, comme on dit dans le monde du travail moderne. » Faure, qui connaissait la règle du jeu dès le départ, n’en veut pourtant pas aux Rangers pour cela : « J’ai passé des IRM, et pour eux il n’y avait pas de souci alors que quand je reviens à Lyon on me détecte des trucs. Je leur en veux un peu parce que j’ai un an de carrière qui a été gâché. J’ai dû me faire opérer à Lyon, sans club. Si je m’étais fait opérer avec eux, j’aurais pu reprendre en juillet avec un autre club. Ça, ça me reste un peu en travers de la gorge. »

Retour dans le cocon OL

Faure n’est pas plus inquiet que cela au début. S’il revient à Lyon, c’est d’ailleurs juste pour se marier. « Pour moi, ce n’était pas grave. Je décide pendant un mois et demi d’aller chez le kiné tous les jours. Je fais deux semaines avec Saint-Priest pour voir si ça tient, et j’avais trop mal. Je décide de me faire opérer en septembre. Je me dis que c’est parti pour une saison blanche. » Pour se remettre en forme, le bon élève demande donc de l’aide à ses anciens professeurs du centre de formation. « Quand ça va un peu mieux, je décide d’aller faire les cinq derniers mois avec la réserve de l’OL pour me remettre physiquement en forme. J’avais pris quatre ou cinq kilos, ça faisait neuf mois que je n’avais pas joué, pas fait une passe. Fallait déjà que, dans ma tête, je me remette dans une équipe. Et gentiment, Maxence Flachez, Gilles Rousset et Stéphane Roche acceptent. » Revenir dans le cocon lui fait du bien, surtout qu’il finit par jouer deux matchs en CFA, ce qui n’était pas prévu au départ. « Il n’y avait plus personne, ils étaient tous en vacances ! »

« Quand on a vécu à l’étranger, on veut découvrir encore d’autres choses »

Quand on lui demande si le retour dans la région est une volonté personnelle suite à son mariage, Faure est pourtant catégorique : « Ah non, moi je voulais même repartir à l’étranger ! Je suis revenu parce que je n’avais plus de club, tout simplement. J’avais mon appartement à Part-Dieu, mais c’est tout. Quand on a vécu à l’étranger, on veut même découvrir encore d’autres choses. C’est intéressant, même pour le futur. La carrière d’un footeux, c’est fini à 35 ans. On ne va pas rester 30 ans chez nous à ne rien foutre ensuite. Certains aiment bien faire ça, mais c’est pas mon but. » Lâché par son agent, le défenseur central prend donc en main la suite de sa carrière seul : « J’ai décidé d’appeler un peu dans le coin et Chasselay cherchait un défenseur central. J’ai fait deux semaines et ils ont été convaincus. C’est vrai que sur les deux dernières années, ça fait beaucoup de péripéties : le mariage, l’enfant, les clubs… »

« On te recatalogue amateur »

Redescendu au niveau amateur, Faure continue pourtant de se préparer comme un pro. « Même si t’as 45 sélections en équipes de France jeunes, que t’as joué à l’OL, que t’as joué aux Rangers, une fois que t’as retouché à ce niveau, on te recatalogue amateur. “T’étais où l’an dernier ? Chasselay en CFA ?”, c’est ton niveau maintenant. Et 26 ans c’est un peu une limite pour les clubs de Ligue 2, de National. Ils vont plutôt signer des jeunes de 18 à 23 ans avec des longs contrats. En étant grossier, ça me fait surtout chier d’être redescendu en amateur pas par rapport à mon niveau, mais par rapport à une blessure. Mais bon si je suis là c’est que pour l’instant j’ai ce niveau-là, et c’est à moi de prouver que je peux remonter. J’ai pas 30 ans non plus, j’ai encore quelques années devant moi. C’est pour ça que je fais tout ce que je peux à côté au niveau hygiène de vie, alimentation… Je vais deux fois par semaine chez le kiné, deux fois par semaine à la cryothérapie pour la récupération. Je mets tout de mon côté pour me dire que si j’ai pas réussi, c’est pas de la faute d’un manque d’investissement. »

Faure

« Le monde pro tel qu’il est, c’est pas trop mon truc. Tout ce qui est paillettes, c’est pas mon truc. Quand j’étais pro, j’étais dans mon cocon avec ma femme. Je vis comme je suis, pas pour faire comme les autres. Le rêve, ce serait qu’avec le statut pro ça se passe à Chasselay ! On va faire des bouffes avec les potes, les papys nous font des pâtes avant les matchs. » (Photo MDA Foot)

 

« T’es trop professionnel ! »

Redescendre au niveau amateur n’est en tout cas pas vécu comme un drame par Faure : « Le monde pro tel qu’il est, c’est pas trop mon truc. Tout ce qui est paillettes, c’est pas mon truc. Quand j’étais pro, j’étais dans mon cocon avec ma femme. Je vis comme je suis, pas pour faire comme les autres. Le rêve, ce serait qu’avec le statut pro ça se passe à Chasselay ! On va faire des bouffes avec les potes, les papys nous font des pâtes avant les matchs, c’est vraiment autre chose. » Cela ne l’empêche cependant pas de se préparer comme un pro à côté : « Les autres me disent souvent que je suis trop professionnel. J’ai été à l’OL de 13 à 20 ans, et aux Rangers. J’arrivais une heure et quart avant l’entraînement et je repartais une heure après. Là tu peux arriver dix minutes avant et repartir juste après. “T’es trop professionnel !” Arriver au moins une demi-heure avant, bien manger après le match : “T’es trop professionnel !” C’est pareil dans l’entraînement : tu peux rigoler un peu, mais c’est ton travail ! Enfin non ! (rires) Mais pour passer ce palier, il faut une logistique en plus. L’entraîneur Eric Guichard est vraiment bien pour ça, parce qu’il a été deux années à Brest (en tant qu’adjoint d’Alex Dupont). J’ai même l’impression que je m’entraîne plus qu’aux Rangers, c’est des séances intéressantes, il y a de la vidéo avant les matchs, il essaye de mettre ce petit truc en plus. Mais ça ne se fait pas d’un coup, le club est encore jeune à ce niveau. Tout le taf que je fais à côté, ça vient de moi. J’y vais de moi-même. On n’a pas de contrat de travail de 60 pages comme en pro. On a un code de conduite avec le staff, mais on est amateurs. La muscu, on en fait si on a envie. »

Djilla, Gwada et le travail invisible

« On en parlait avec Djilla Diarra qui était venu s’entraîner avec nous à l’OL en 2011/12 : il disait qu’à Madrid t’as deux mecs pour la salle de muscu, deux mecs pour la récupération, deux mecs pour la balnéo, deux mecs pour les étirements… Tu ne peux qu’être performant, t’as juste à prendre ta voiture et à venir t’entraîner ! C’est ça qui fait la différence entre les grands clubs européens, les bons clubs européens, les petits clubs européens… C’est pour ça que l’OL va progresser avec ce nouveau stade et ce centre d’entraînement. Et encore, ils peuvent faire encore plus au niveau du travail invisible. C’est vraiment là que toute la différence se fait. » Lorsqu’on aborde le cas Alexandre Lacazette, son compère de génération 91 dont on vient d’apprendre la non-sélection en Bleu en pianotant sur nos smartphones à la fin de l’interview, il nous fait une offre hors-micro : « Ah Gwada… J’ai des dossiers sur plein de choses, mais si vous voulez faire péter le compteur de clics il va falloir payer cher ! » Le travail invisible, toujours.

Propos recueillis par Hugo Hélin

(Photo Marion Dupas / Le Libéro Lyon)

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