L’OL, 1 modeste club d province

OL

HUMEUR. « Mouillez le maillot ! », s’indignent les supporters. « Mettez de l’intensité », implore Bruno Genesio. Les mots changent, mais l’exaspération est la même : comment l’OL peut-il aller gagner à Manchester City et battre aisément l’OM avant de partager les points à domicile contre un Nantes sans repères et sans coach ? Réponse la plus communément admise : la suffisance de joueurs qui choisissent leurs matchs. Si l’explication ne peut être exclue, l’essentiel est sûrement ailleurs.

« Cela fait trois ans que je suis là et c’est un peu tout le temps la même chose. » Après un nouveau nul décevant face à une équipe au fond du trou (c’était cette fois-là Nantes), Rafael a lâché le constat le plus lucide entendu face caméra à l’OL dans ce laps de temps. Dans la citation complète, Rafael se demande s’il y a là de la suffisance et note le ‘manque d’appels, de retours… » de la part des joueurs. Quelques jours avant, Bruno Genesio révélait des chiffres impressionnants : l’OL avait couru 18 kilomètres de plus lors de l’éclatante victoire sur la pelouse de Manchester City que lors du nul navrant à Caen quatre jours plus tôt. Ne cherchez plus, la solution est toute trouvée : les joueurs de l’OL choisissent leurs matchs et sont seuls responsables du classement en Ligue 1.

Il faut ici accorder un point à Bruno Genesio après le match contre Manchester City. Tout en incitant ses joueurs à mettre plus d’intensité en Ligue 1 contre les petits calibres, il reconnaissait qu’elle ne suffit pas à gagner un match. Car il ne faut pas s’y tromper : le point commun des rencontres où l’OL a souffert est le même que celui des rencontres où l’OL a brillé : l’aspect tactique. Quand l’OL rencontre un bloc adverse haut, il s’en sort mieux, car ses talents individuels savent parfaitement exploiter les espaces. Grâce un milieu de terrain doué avec le ballon (Ndombele – Aouar – Diop), l’OL a ainsi réussi à transpercer le bloc très haut de Manchester City et à s’offrir de belles situations dans la profondeur. À l’inverse, quand l’OL croise un bloc bas et bien organisé, il peine à se créer la moindre occasion collective. Chaque supporter lyonnais peut citer sans réfléchir 10 matchs récents durant lesquels l’OL a peiné à faire la moindre différence collective.

Tout n’est pourtant pas qu’une histoire de bloc haut ou de bloc bas. En Ligue des Champions, le Shakthar Donetsk a donné, pendant les 45 premières, une leçon collective à l’OL, tout en jouant haut. C’est d’ailleurs ici qu’intensité et tactique se rejoignent. Souvent obligé de courir après le score, ou de courir pour prendre les trois points, l’OL s’en sort (comme contre le club ukrainien) souvent en fin de match… lorsqu’il abandonne toute considération tactique, et qu’il joue « à l’énergie. » Un phénomène tellement frappant en Coupe d’Europe que cela en devient une marque de fabrique, mais qu’on retrouve aussi en Ligue 1, par exemple contre Nice ou Nantes cette saison.

En plus clair, l’OL est globalement irrésistible quand il se livre vraiment, quand les joueurs dépassent leurs fonctions, et se projettent en nombre face au but. Un constat qui aurait dû pousser Bruno Genesio à réfléchir à la manière de transformer ces moments éphémères en mécanique normale, surtout que la saison dernière a démontré son incapacité à rendre l’OL plus imperméable alors que c’était l’objectif n°1. Difficile de comprendre pourquoi l’OL serait capable d’aller chercher plutôt haut City et le PSG (avant l’expulsion de Tousart), mais pas Nîmes et Amiens.

Cette transformation de l’exceptionnel en normalité est d’autant plus nécessaire que beaucoup de fins de match de l’OL sont physiquement éprouvantes, sans parler du fait qu’elles ne permettent jamais de faire entrer des jeunes puisque les matchs ne sont quasiment jamais « pliés » à l’heure de jeu.


Si les soucis sont bien d’abord d’ordre tactique, il serait trop simple et même néfaste de refuser l’argument de l’intensité. Bruno Genesio a fort justement rappelé qu’après une performance du niveau de celle de Manchester City, l’OL n’a plus le droit de descendre en-dessous de certains standards en Ligue 1. Aussitôt dit, aussitôt fait, l’OL est immédiatement redescendu, en sortant deux prestations au mieux très moyennes contre Nantes et Nîmes. La réaction de Bruno Genesio, et surtout de Jean-Michel Aulas ? « L’équipe est jeune », « Les joueurs étaient dans leurs équipes nationales », et autres excuses répétées religieusement, qui vont bientôt devenir le principal ADN du club.

Naïvement, on a presque espéré que cette fois, il y aurait un avant et un après City. Que le club prendrait enfin conscience qu’il a le droit, et surtout le devoir, d’être ambitieux. Que la culture de l’excuse serait rangée au placard au profit de l’ambition. Au lieu de ça, Jean-Michel Aulas fait passer l’OL et son 25ème budget européen pour un petit poucet contre Hoffenheim, actuel 8e de Bundesliga et dont c’est la deuxième campagne européenne de l’histoire (une victoire en six matchs de poule de Ligue Europa contre Braga, Ludogorets et Basaksehir l’an dernier). On comprend mieux, dès lors, pourquoi les joueurs « ne mouillent pas le maillot. »

Pourquoi se désosser quand son employeur trouvera une excuse qui dédouanera tout le monde ? Pourquoi s’arracher un samedi froid et boueux pour ramener trois points d’Angers quand l’objectif est seulement de finir sur le podium (et encore, un top 4 fera l’affaire si besoin) ? Pourquoi risquer la blessure contre Nîmes alors que de toute façon, la place dans le 11 est assurée ? On se souvient avec résignation des propos d’Alexandre Lacazette expliquant que l’OL ne le tirait plus vers le haut car il savait qu’il serait titulaire le week-end même [s’il était] « nul à l’entraînement. »

Bien sûr, on peut reprocher à Bruno Genesio de ne pas assez mettre les joueurs en concurrence. Mais la technique « passage sur le banc pour piquer le joueur » n’est pas utilisable à l’infini et l’exigence ne peut pas passer que par la sanction. L’ambition doit venir de plus haut. Et cela commence déjà par le choix du coach. Ce n’est pas faire offense à Bruno Genesio que de dire que son maintien au poste d’entraîneur est un signal négatif. On ne parle pas ici de sa limitée carrière d’entraîneur ailleurs qu’à l’OL. On parle, pour reprendre les mots de Christophe Jallet, des « objectifs remplis, même si ce n’était pas ceux de départ. » Quel entraîneur de Séville, Dortmund, Tottenham ou la Roma survivrait à trois saisons moyennes, sans aucun titre ni aucune progression dans le jeu, avec des « objectifs » plus ou moins atteints à l’arrachée lors de la dernière journée ? Car c’est à ce genre de clubs que l’OL doit se comparer. Pas à Hoffenheim ou au CSKA Moscou.

Il faut ici écouter Juninho raconter la période dorée de l’OL. Récemment encore dans l’Équipe, avant le match PSG-Lyon, il rappelait combien gagner régulièrement était difficile et le fruit d’une exigence de tous les instants. Dans un autre entretien, il rappelait aussi comment Gérard Houllier avait remobilisé toute l’équipe avant un match de Ligue 1 au Mans qui sentait bon la défaite sans cela. On peut enfin relire la conclusion du long entretien qu’il nous a accordé il y a trois ans : « Chez nous, les entraînements étaient plus difficiles que les matchs, parfois… »

Plus encore que celle de Rafael, une autre réaction d’après-match contre Nantes passée un peu inaperçue en dit long sur ce nouvel OL. Léo Dubois, recruté cet été, regrettait le match nul mais estimait que comptablement le résultat n’était pas catastrophique, que l’OL « avait le droit de passer à côté de ce match » (avant toutefois de se reprendre et de s’interroger à voix haute « Enfin, pas sûr qu’on ait le droit ») et qu’il fallait retenir le positif plutôt que de parler des « petites choses négatives ». Qu’un nouveau joueur, récemment arrivé, se satisfasse d’être dans un top 5 particulièrement faiblard et ne s’inquiète pas d’avoir déjà offert le titre au PSG sans même avoir tenté de résister plus de trois journées résume bien où se situent les nouvelles ambitions du club du « modeste entrepreneur d province ». Au moins, on ne peut pas reprocher à Dubois de ne pas être corporate.


Vincent G.

(Photo Jean-Marc)