Camille Abily : « Le championnat progresse un peu, mais on avance encore plus vite »

Olympique Lyonnais

ENTRETIEN. La rencontre s’est déroulée début janvier, dans le local des joueuses à Tola Vologe. Camille Abily reçoit « à domicile », au centre d’entraînement d’un club où elle passe sa huitième saison et dont elle a vu la structure de la section féminine s’améliorer (beaucoup) plus vite qu’ailleurs.

À tout juste 30 ans, la milieu internationale (139 sélections) s’apprête à vivre un des semestres les plus exaltants mais aussi les plus incertains de sa carrière : tout va commencer ce samedi par un match pour le titre sur la pelouse du PSG ; il faudra ensuite choisir entre rester ou partir de Lyon, alors que son contrat avec l’OL se termine en juin ; enfin, il y a cette Coupe du monde au Canada où l’équipe de France, elle en est certaine, a sa carte à jouer. Quoi qu’il advienne, Camille Abily est et restera l’une des meilleures joueuses de la planète. Qui, en plus, a plein de choses à raconter : son amour pour le foot, son regard sur l’évolution de la D1 et la concurrence, ses coachs et même une histoire de jet-ski avec Karim Benzema!

 

« À l’époque, je ne connaissais pas le foot féminin ! »

Comment tu es venue au foot ?

J’ai commencé à 6 ans. Mon papa et mon frère faisaient déjà du foot. On est une famille très sportive : sur trois enfants, dont deux filles, on a tous fait du foot. Il n’y a jamais eu de réticence de la part de ma famille et ça, c’était cool. C’est vrai que maintenant le foot féminin est plus reconnu mais il y a vingt-quatre ans, des petites filles qui jouaient au foot, il n’y en avait pas beaucoup. Pendant, huit ans, j’étais la seule fille ans de mon équipe. Et quand j’ai eu 13 ans, j’ai dû demander une dérogation pour rester avec les garçons.

Tu ne voulais pas jouer avec les filles ?

À l’époque, je ne connaissais pas le foot féminin ! J’étais dans mon club de la banlieue rennaise, à Bruz, et j’étais bien avec les copains, j’étais la petite chouchoute. J’ai poussé, poussé pour rester avec eux mais à 14 ans, j’étais obligée d’aller avec les filles. Au début, c’était difficile car à l’époque il y avait très peu de filles et elles étaient beaucoup plus âgées que moi. J’ai joué en seniors à l’âge de 15 ans et ça faisait bizarre de jouer avec des filles de 25 voire 30 ans.

Tu as ressenti la différence physiquement ?

« Le plus ‘choquant’, c’est de voir toutes ces petites filles qui jouent ensemble. Notre génération n’a pas connu ça ! »

Pas plus que cela vu que je sortais de chez les garçons. En plus, j’avais déjà le même physique que maintenant (1,68 m, 59 kg), donc cela allait. C’était plus au niveau de la mentalité, on n’avait pas du tout les mêmes délires. Heureusement, il y avait trois-quatre joueuses qui avaient le même âge que moi, ça m’a aidé. En plus, on jouait en D2 (au SC Le Rheu), le niveau n’était pas le même que maintenant et il n’y avait pas beaucoup de clubs. J’étais attaquante, c’était marrant. C’est sympa comme poste, cela me plaisait bien.

Qui t’a replacée au milieu ?

Juste après mon année au Rheu, je suis rentrée à Clairefontaine et Gérard Prêcheur m’a positionnée en milieu de terrain axiale. C’est lui qui m’a appris le job, offensivement comme défensivement.

À quel âge es-tu arrivée à Clairefontaine ?

Je suis arrivée à 15 ans et j’en suis repartie à 20 ans. C’était différent de maintenant, on voit l’évolution : à mon époque, on pouvait rester autant de temps que l’on voulait, j’ai même fait ma licence de STAPS là-bas. J’avais ma voiture, je sortais, rentrais pour m’entraîner, j’avais ma petite chambre. Je faisais ma vie ! Maintenant, c’est seulement durant le lycée. Avant, on avait 18-20 ans et on était là-bas parce que la qualité de l’entraînement était tellement bonne, c’était super intéressant. Alors que maintenant, les clubs sont capables de proposer des entraînements de qualité.

Ça ne te fait pas bizarre de côtoyer des jeunes qui ont eu un parcours totalement différent de ce que vous avez connu ?

Le plus « choquant », c’est de voir toutes ces petites filles qui jouent ensemble. Notre génération n’a pas connu ça !

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« J’ai encore la chance de revivre une compétition et je n’ai pas envie de connaître les mêmes regrets, les mêmes remords. » (Photo fff.fr)

Qui était avec toi à Clairefontaine ?

Il y avait Sonia Bompastor, Hoda Lattaf. C’est sympa car on s’est vues toutes petites et on s’est pas mal suivies. Quand l’une avait une bonne proposition, on essayait d’aider les bonnes copines et les bonnes joueuses. À l’époque à Montpellier, il y avait Sonia et Hoda et elles me disaient : « Allez, viens à Montpellier, c’est super bien, ça se structure. » Et moi qui étais un peu plus jeune, je me suis dit : « Bah oui, carrément ! » Et on est devenues championnes de France. Après, on est allées ensemble à Lyon. D’ailleurs, c’est Hoda qui a été contactée la première et qui a dit qu’il y avait d’autres bonnes joueuses, Sonia, moi et Laure Lepailleur et on est donc arrivées à quatre. À l’époque, ça se faisait beaucoup comme cela. Maintenant, c’est devenu comme les garçons, chacune gère sa carrière plus individuellement avec ou sans agent. Personnellement, je n’ai pas d’agent, mais les plus jeunes commencent à en avoir pour les orienter. C’est tellement différent. Nous, c’était la copine qui nous disait de venir jouer là ou là.

« Philippe Bergeroo a déjà gagné des compétitions en tant que coach et en tant que joueur aussi. Il a cette approche de la gagne »

À 30 ans et après avoir tout gagné, quels sont tes objectifs ?

Gagner un titre avec l’équipe de France. En juin, il y a la Coupe du monde… et franchement, je l’espère ! Avec l’équipe de France, on est bien, même s’il faut relativiser les matchs amicaux, et j’espère qu’à la Coupe du monde on sera vraiment là. J’espère vraiment que cette année sera la nôtre !

Comment tu sens cette compétition par rapport aux précédentes, après les demies à la Coupe du Monde 2011 et aux JO de 2012 puis le quart de finale à l’Euro 2013 sous Bruno Bini ?

La différence se fait dans l’approche du coach. Philippe Bergeroo a déjà gagné des compétitions en tant que coach et en tant que joueur aussi. Il a cette approche de la gagne. Lui, il le dit clairement – entre nous bien sûr -, il ne va pas le crier sur tous les toits : on n’est pas les favoris n°1, mais on fait partie des bons outsiders. Entre nous, on a tous le même objectif : on y va minimum pour la finale. On a fait deux fois 4e, on veut faire mieux. Après ce n’est pas parce qu’on a envie que l’on va réussir.

Avec le collectif que vous avez, est-ce possible de gagner ?

Oui c’est possible. Mais avec Sonia Bompastor, on a perdu une grande joueuse et surtout un grand leader. Sonia avait cette force de caractère qui tirait le groupe vers le haut. Maintenant, je ne pense pas que l’on ait une joueuse comme cela dans l’équipe, même si d’autres essaient de prendre le relais. Personne ne pourra faire ce que Sonia faisait. En 2012, aux Jeux, je pense que l’on aurait pu gagner quelque chose. Là, c’était une immense déception. Quand on y repense, on est encore déçues même si c’était il y a trois ans. Malgré tout, j’ai encore la chance de revivre une compétition et je n’ai pas envie de connaître les mêmes regrets, les mêmes remords. On se prépare bien, on a un staff vraiment compétent et on a tout le mois de mai pour se préparer.

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« J’ai commencé la D1 à 15 ans. Je me donne deux à trois ans max. Je n’ai pas envie de finir en étant moins bonne. » (Photo Damien LG)

On a parfois la sensation d’un plafond de verre que vous n’arrivez pas à faire céder…

Oui, peut être. Je pense que Bini a tiré le groupe jusqu’à son maximum, mais il lui manquait quelque chose pour que l’on gagne. Sans être méchante avec Bini, il a fait évoluer l’équipe mais à la fin on stagnait. Par contre, je pense que Bergeroo peut nous amener le déclic pour franchir cette dernière marche – qui est la plus difficile, mine de rien. Mais il fallait du changement car sept ans pour un sélectionneur, c’est trop. Comme Patrice (Lair) à Lyon : après quatre ans, au bout d’un moment, il faut quelque chose de nouveau. Ça s’est super bien passé, on a gagné des titres on a passé des moments inoubliables. Le fait de gagner des titres, ça rapproche. On a des souvenirs en commun, mais il faut du renouveau : de nouvelles joueuses pour apporter de la fraîcheur, un nouveau coach, un nouveau staff qui amène un nouveau discours, etc.

Tu es l’une des rares joueuses françaises à avoir tenté l’aventure américaine…

« Je gagnais moins d’argent aux États-Unis qu’à l’OL, alors qu’on a pu dire que j’étais une mercenaire. Après, je m’en fous : j’ai vécu mon rêve, c’était mon expérience »

J’ai eu la chance de faire les meilleures années là-bas, c’est-à-dire quand ça s’appelait la WPS (Women’s Professional Soccer). Au Los Angeles Sol, je jouais avec Marta, Aya Miyama, Shannon Boxx, Ali Wagner, Karina LeBlanc… Des joueuses exceptionnelles. On avait la meilleure équipe, une équipe de malade ! Donc ouais, tu arrives là-bas, tu te sens vraiment inférieure, car les Françaises, mine de rien, ils ne les connaissaient pas. Donc tu as tout à prouver. Mais c’est ça que j’aime, le challenge. Tu vas là-bas, tu n’es personne et l’objectif c’est de gagner une place et de te faire un nom. Et puis tu représentes la France ! Et je pense qu’avec Sonia, on a réussi à montrer qu’en France il y avait des joueuses de qualité. Avant nous, Marinette Pichon avait déjà fait cela. Et maintenant, elles nous connaissent toutes.

Et la vie en Californie, c’était comment ?

Je vivais en coloc’ dans une grande maison à Beverly Hills. Non mais le Rêve quoi ! J’étais avec sept autres joueuses, chacune sa chambre avec sa propre salle de bain. Une énorme maison de malade avec piscine, un terrain de foot dans la maison ! On jouait dans le même stade que le Galaxy. Je gagnais moins d’argent là-bas qu’à l’OL, alors qu’on a pu dire que j’étais une mercenaire. Après, je m’en fous : j’ai vécu mon rêve, c’était mon expérience.

Beaucoup de joueuses en rêvent mais peu ont franchi le pas ?

Ah oui, peu de joueuses osent. C’est dur. C’était compliqué car quand on est parties avec Sonia, ça s’est très mal passé avec l’OL. Ce que je peux comprendre, car c’était en janvier et il n’y avait pas de mercato d’hiver. Déjà que ça ne se passait pas bien avec Farid (Benstiti), avec qui j’avais des problèmes relationnels. Et Bini ne voulait absolument pas que l’on parte dans le meilleur championnat du monde ! Moi je ne comprends pas. Je n’ai pas été sélectionnée pendant un mois ou deux. J’ai fait toute la présaison et Bini m’appelle et me sort : « Tu pars aux États-Unis ? Je ne te prends pas pour le match alors. » Vu que Sonia y est allée aussi, il a fini par nous rappeler. Si j’avais été toute seule, peut-être que ça n’aurait pas été le cas. En plus, il n’a pas eu de chance, car on a brillé là-bas. On fait une super saison et on a toutes les deux été élues « joueuse du mois ». Franchement, dans ce championnat-là, tu te dis : « Wahou! » Sur le coup, tu ne réalises pas. Tu vis ton aventure à fond : apprendre l’anglais, une nouvelle culture. Ça m’a fait grandir car j’avais toujours été couvée par Hoda et Sonia.

Raconte ton premier match contre Sonia, qui jouait à Washington ?

C’était notre premier match, il fallait que l’on joue l’une contre l’autre devant 15.000 personnes, avec les fans, les mascottes, tout le show à l’américaine. Pendant le match, on jouait côte à côte, car elle était aussi milieu. Mon coach me dit quelque chose, je ne comprends rien. Et c’est Sonia qui me traduit. Elle a été cool, car elle aurait pu me dire le contraire. L’amitié a primé sur la compet’. Et pourtant, v’la la compétitrice !

Au milieu, tu vas faire une petite pige au PSG…

« La phrase du président Aulas qui m’avait marquée, c’était : ‘De toute façon, on va gagner la Ligue des champions, avec ou sans toi.’ Alors forcement, tu veux en faire partie… »

Oui, six mois. C’était un choix de ma part afin de continuer à jouer car aux USA il n’y avait plus rien. En plus, j’ai été rappelée en sélection donc c’était important de jouer. Le PSG a profité de la trêve aux USA pour avoir deux nouvelles joueuses, Sonia et moi. Ce n’était pas le PSG de maintenant, mais cela a un peu aidé à lancer le truc.

Tu ne fais qu’une dernière année aux USA derrière, mais à San Francisco, au Gold Pride.

On sentait que le championnat devenait de plus en plus bancal. C’était casse-gueule. Il s’est arrêté un an après d’ailleurs. Et Lyon nous a rappelées. Ça s’est super bien passé, j’ai adoré, mais au final, deux ans, c’est suffisant. Tu es loin de ta famille. Je suis française, j’aime la télé française, la bouffe française. Et franchement, c’était dur de manger là-bas.

À ce moment-là, dans ta tête, c’est l’OL et rien d’autre ?

Non, Lyon ! La phrase du président Aulas qui m’avait marquée, c’était : « De toute façon, on va gagner la Ligue des champions, avec ou sans toi. » Alors forcement, tu veux en faire partie… En plus je connaissais bien Patrice. Ç’a joué énormément qu’il soit là. Pour notre retour, c’est lui qui a poussé auprès du club.

 

« C’est pour ça que j’aime le foot »

Ça fait quatre ans et demi et il s’est passé beaucoup de choses depuis. Mais quel a été ton plus beau moment avec l’OL ?

La première Ligue des champions, car c’est ton objectif, et celui du club (contre Potsdam, en 2011). Tous les jours tu t’entraînes pour cela. Et tu as la sensation du devoir accompli. Le club investit, cherche des joueuses, on te met dans de bonnes conditions. Pour leur rendre, il fallait la gagner. On est reconnaissantes de tout ce qu’on a. On voulait leur montrer que c’était donnant-donnant. Et puis le match… Wahou ! On gagne 2 à 0 mais on peut prendre des buts, Sarah nous sauve. Y a plein de trucs qui font que c’est fort. Un an plus tôt, les filles avaient perdu contre la même équipe aux tirs au but alors qu’elles avaient deux pénos d’avance. Moi je n’avais pas joué cette finale perdue mais je savais que club attendait cela depuis longtemps et que les dirigeants avaient tout fait pour. C’était magique, tu avais l’impression d’être sur le toit du monde – même si ce n’est que de l’Europe. En plus, on a galéré, c’était dur, le match était compliqué jusqu’au but de Lara, où là on se dit : « Ça y est, elle est à nous ! » L’année suivante, à Munich, on gagnait 2-0 à la mi-temps contre Francfort,  c’est pas du tout pareil. Alors qu’à Londres, j’étais euphorique, complètement folle, ailleurs. Quand tu en parles à des sportifs retraités, ils te le disent : cette émotion, tu ne la retrouves que dans le sport. C’est pour ça que j’aime le foot.

« Escalettes ne savait pas qui tu étais ! Alors que Le Graët, il connaît ton prénom, ton club, il s’intéresse. Tu as un minimum de reconnaissance. C’est top! »

Malgré les économies récentes et les échecs de ces trois dernières saisons en Coupe d’Europe (une défaite en finale puis deux éliminations en 8es), investir sur les filles a été une bonne stratégie pour l’OL.

On peut remercier Jean-Michel Aulas, il a fait énormément. Il y a eu Nicollin avant mais il n’avait pas les mêmes moyens. Quand on est parties à quatre de Montpellier, il ne pouvait pas nous retenir, c’était impossible, car Aulas nous faisait rêver. Pas par l’argent attention ! Mais par les infrastructures, les ambitions, le fait de jouer à Gerland. On jouait rarement à La Mosson. Quand tu es joueuse, jouer à Gerland devant 20.000 personnes, c’est hors normes ! À Montpellier, il ne pouvait pas le faire. Le club était trop petit, pas assez de moyens, pas assez d’engouement.

Pourquoi l’équipe de France féminine ne pourrait pas jouer en lever de rideau des hommes ?

C’est une histoire de droits télé et une question de pelouse. Mais depuis que Noël Le Graët préside la Fédération, quelque chose s’est passé pour le football féminin. On sent qu’il est impliqué, il est venu nous voir en Allemagne, il aime vraiment cela. Auparavant, avec (Jean-Pierre) Escalettes, je me rappelle être allée voir un match des garçons en tribune officielle. Le mec ne savait pas qui tu étais ! Alors que Le Graët, il connaît ton prénom, ton club, il s’intéresse. Tu as un minimum de reconnaissance. C’est top ! Au niveau des installations, on est au château comme les garçons, cela nous arrive de prendre des vols privés. La Fédé nous met dans les meilleures conditions. Y a rien à dire. Après il y a encore plein de choses à faire, mais il essaye.

As-tu reparlé de ta blessure avec Annike Krahn? (La défenseur du PSG l’a blessée à la 10e minute du match amical Allemagne-France [0-2] le 25 octobre)

« Contre les « petites » équipes, certains arbitres nous disent : ‘Vous comprenez, je ne peux pas siffler péno, vous gagnez déjà 8-0.’ Non, je ne comprends pas ! Il y a faute, siffle le penalty »

Non, non, franchement c’est le jeu. J’ai eu plus de mal l’année dernière avec la blessure infligée par Laura (Laura Georges avait taclé en retard Camille Abily lors du match de championnat PSG-OL le 29 septembre 2013 [0-3], provoquant une rupture du ligament entre le tibia et le péroné et six semaines d’arrêt). Laura, c’est un vrai tacle par-derrière, elle ne peut pas me prendre le ballon, elle me découpe ! Deux fois en plus ! Mais Krahn, rien à dire. On y va toutes les deux, mais par contre elle est lancée, couchée, et moi debout. Et pan mon genou part ! Franchement, elle était vraiment mal à la fin du match. Ce n’est pas une fille que je connais plus que cela mais elle ne l’a pas fait méchamment. Direct, j’ai pensé au match contre le PSG. Après, ce n’est pas un attentat, contrairement à l’année dernière. Même si je connais Laura et que ce n’est pas volontaire parce que c’est son jeu et qu’elle est très maladroite. C’est aussi aux arbitres de nous protéger. Je le vois tous les week-ends, on prend des coups tout le temps. Il n’y a jamais de carton rouge dans le foot féminin, mais pourquoi ? Bien sûr, on fait un peu moins de fautes que les gars mais il y a des fautes qui le méritent. En championnat, il n’y en a jamais et quand on joue le PSG, il y a toujours des attentats! (Sabrina) Delannoy en a mis combien à Eugénie ? Et elle n’a même pas pris un jaune ! C’est un scandale ! Et quand il y a une blessure, là ils veulent mettre un rouge. C’est trop tard, c’est avant la blessure qu’il faut le faire. Avec Laura, le premier tacle me tue – d’ailleurs il y a une photo sur l’Équipe où l’on me voit bien cisaillée.

Là, tu ne peux pas dire que ça ne mérite pas un rouge. C’est scandaleux ! Normalement, tu es suspendue, tu prends quatre matchs. Parce que moi je suis blessée un mois et demi, je ne joue pas la Ligue des champions et je ne suis pas à mon meilleur niveau. Après je serre les dents, touche : Lara me balance le ballon et bam ! Laura, encore la même. L’arbitre ne fait encore rien et je sors après. Et au final elle finit son match tranquille. Le pire, c’est que c’est télévisé et je ne comprends pas pourquoi dans le foot féminin on ne revient pas dessus comme chez les garçons. Après, elles te disent : « Désolée, je n’ai pas le choix. » Tu peux faire des petites fautes, mais tacler par-derrière, tu peux blesser lourdement. C’est peut-être leur tactique, mais c’est à l’arbitre de prendre ces responsabilités.

C’est surtout un problème d’arbitrage finalement…

Contre les « petites » équipes, certains arbitres nous disent : « Vous comprenez, je ne peux pas siffler péno, vous gagnez déjà 8-0. » Non, je ne comprends pas ! Il y a faute, siffle le penalty. J’en rigole un peu parce que l’on gagne, mais il n’y a jamais penalty pour nous. C’est bizarre quand même. On a la meilleure attaque, des dribbleuses fantastiques mais on a quasiment jamais de penalty. À Metz, la joueuse prend un rouge mais on n’a pas le penalty !

« Bien sûr que tu ne progresses pas, cela te dessert pour la sélection et pour la Ligue des champions. Inconsciemment, et même si le coach est vachement exigeant, tu sais que tu n’as pas besoin de défendre, que ta copine derrière va récupérer le ballon »

Tu n’en as pas marre de gagner si souvent sur des scores fleuves ?

Bien sûr, je préfère les matchs « serrés ». Mais franchement, avec cette équipe, on joue les unes pour les autres et on se fait plaisir ensemble. Personne ne va prendre la balle et aller dribbler toute seule. On se fait plaisir car on va faire de beaux une-deux, de beaux centres amenant de beaux buts. Mais bien sûr que tu ne progresses pas, cela te dessert pour la sélection et pour la Ligue des champions. Inconsciemment, et même si le coach est vachement exigeant, tu sais que tu n’as pas besoin de défendre, que ta copine derrière va récupérer le ballon. Ce n’est pas bon non plus pour nos jeunes, car quand elles arrivent sur le terrain et que l’on survole le match, c’est facile, elles n’ont pas besoin de se mettre minable pour récupérer les ballons. Le championnat progresse un peu, mais on avance encore plus vite. En plus avec Gérard qui est à fond sur le collectif, la possession de balle et la construction, on tue l’adversaire physiquement. Elles courent tellement après le ballon qu’à la fin tu rentres comme dans du beurre.

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« Cette génération [de garçons] nous connaît depuis longtemps. Ils ont grandi en sachant que l’équipe féminine était déjà là. À l’OL, tu peux discuter d’un match avec Fekir, Grenier ou Umtiti, parce qu’ils sont venus nous voir jouer ! » (Photo Damien LG)

Que faut-il faire pour réduire cet écart en D1 ?

Le seul moyen, c’est que les clubs de L1 investissent chez les filles et qu’ils proposent des structures comme à Lyon ou au PSG. Ce que fait Guingamp, c’est super, même s’il faut du temps.

On entend beaucoup que la fin du cycle de l’OL approche.

Ah ça me saoule ! C’est lourd. Je ne suis pas d’accord. Notre équipe était à bout de souffle, avait besoin de changement, OK. Mais là, avec Gérard, on est reparties sur de nouvelles bases, il y a un nouveau projet, de nouvelles joueuses avec Ada (Hegerberg) et Méline (Gérard). On repart sur une nouvelle dynamique. Ça se voit sur le terrain : on prend du plaisir, on s’éclate, on est performantes. Même si, malheureusement, il y a eu cette élimination.

Ça fait quel effet de retrouver Gérard Prêcheur, que tu as connu au début de ta carrière ?

C’est énorme, j’ai commencé avec lui et peut-être que je finirai avec lui. À 30 ans, j’apprends encore.

Tu pourrais faire comme Sandrine Soubeyrand et pousser jusqu’à 40 ans ?

Sincèrement, je ne sais pas comment elle a fait ! Physiquement, je ne pourrais pas. J’ai commencé la D1 à 15 ans. Je me donne deux à trois ans max. Je n’ai pas envie de finir en étant moins bonne. Mentalement, tu satures. Et puis tu n’es plus sur la même longueur d’ondes que les petites jeunes sur plein de trucs. Ça se passe bien, elles sont cool, mais avec certaines tu as dix-douze ans d’écart.

 

« Déjà que j’aimais Lyon, mais maintenant que j’y suis… »

Et après, tu penses rester dans le foot ?

J’aimerais rester dans le foot. J’ai passé mes diplômes de coach et c’est quelque chose qui me plairait. Après, je ne sais pas si je le ferai direct en sortant, car c’est beaucoup de contraintes. Mais chez les jeunes, cela me plairait. Ou alors dans le développement du foot féminin.

Même pas un petit break après ta retraite ?

Non, le foot, c’est ma passion : j’en « mange » à la maison, je regarde les matchs des gars, je vais à Gerland. En plus, c’est mon club. Déjà j’aimais Lyon avant, mais maintenant que j’y suis… C’est ma huitième année à Lyon, forcément tu t’attaches. Pour moi, c’est mon club.

Alors tu vas prolonger ?

Mon contrat se termine en juin. Dans ma tête, il reste un dernier challenge, que ce soit à l’OL ou ailleurs. En tout cas, j’espère jouer encore deux ans. Bien sûr, si c’est en France, ce sera l’OL prioritairement. Le PSG de Farid, jamais. Sinon, un club en Europe qui joue la Ligue des champions en Europe ou repartir aux États-Unis pour une dernière pige. C’est faisable aussi car j’ai vraiment apprécié mon aventure là-bas. Mais si on trouve un accord avec le club, je resterai avec plaisir. Je ne suis pas pressée et je ne me prends pas la tête. Je n’ai pas peur de mon avenir.

Qui verrais-tu te replacer à l’OL ?

Claire Lavogez (Montpellier, 4 sélections), ce serait bien. Je pense que le club veut la prendre. Elle n’a que 20 ans et beaucoup de progrès à faire, mais c’est une fille qui a énormément de qualités. Sandie Toletti (19 ans, Montpellier, 3 sélections) est pas mal aussi, j’aime bien. Elle joue un peu plus bas. Après on en a connu tellement qui étaient fortes jeunes et qui n’ont pas réussi. À voir, mais elles ont le potentiel. L’avantage d’un club comme l’OL, structuré à tous les niveaux, c’est que les jeunes qui arrivent sont direct dans le bain. Si cela ne convient pas, elles sont exclues du vestiaire. Si, dans un groupe, les jeunes font ce qu’elles veulent, c’est mort, elles n’écoutent plus et ne progresseront pas. On n’a pas ce problème-là. On a beaucoup de jeunes cette année, avec Maëlle (Garbino, 18 ans), Lucie (Pingeon, 19 ans), Noémie (Carage, 18 ans), Ève (Périsset, 20 ans). Elles prennent l’exemple sur Amel Majri et Méline Gérard. Après il y a les qualités aussi : tu ne peux pas faire d’une deudeuche une Ferrari.

Griedge Mbock (19 ans, 7 sélections) est cadre à Guingamp malgré son jeune âge. Le pourrait-elle à l’OL ?

Bien sûr que non, pas encore. Dans quelques années, oui, peut être. Si elle venait à l’OL, elle jouerait souvent mais n’aura pas le même statut que Wendie. Je pense que des filles comme Griedge ou Claire Lavogez pourraient venir à l’OL. Ça leur ferait du bien parce que dans leurs clubs elles se « frisent ». Après, c’est regrouper les meilleures joueuses dans seulement deux clubs en France. Mais pour la progression individuelle, c’est mieux, surtout si elles arrivaient à s’imposer à l’OL. Elles franchiraient un palier.

Mais le recrutement est plus frileux actuellement…

« La tendance est plus à la formation. Auparavant il y avait vingt internationales et tu ne pouvais pas faire monter les jeunes. Là, il n’y en a plus ‘que’ 13-14, donc y a la place pour 6-7 jeunes. Et il y a de la qualité. Le top serait de faire comme chez garçons, mais ça va être dur »

Tout le monde fait des efforts, je  le comprends. Après, Jean-Michel Aulas a des objectifs et des ambitions qui font que le club restera parmi les meilleurs. Il veut garder une ossature. De toute façon, je ne cracherai pas dans la soupe vu tout ce qu’il a apporté. En on ne peut pas se plaindre, on a toujours une équipe compétitive. C’est vrai qu’on aimerait avoir encore plus de bonnes joueuses. Mais il y a eu Ada et Méline. Ada apporte un gros plus. C’est une super bonne pioche : la gamine, à 19 ans, c’est énorme. En plus, elle se plaît à Lyon, elle adore. Avec Méline, on a deuxième super gardienne au cas où Sarah se blesse. Dans la mentalité, elle est géniale, ça apporte un souffle nouveau. Les jeunes arrivent. Donc au final le groupe se renouvelle un petit peu. La tendance est plus à la formation. Mais c’est une chance pour elles, auparavant il y avait vingt internationales et tu ne pouvais pas faire monter les jeunes. Là, il n’y en a plus « que » 13-14, donc y a la place pour 6-7 jeunes. Et il y a de la qualité. Le top serait de faire comme chez garçons, mais ça va être dur. Amel Majri a réussi à s’imposer. Elle explose, elle est fantastique. Elle a su saisir sa chance, mais a dû attendre que Sonia parte. On est conscientes que l’on doit faire des efforts. Mais on est tellement bien ici. Et peut-être que quand il y aura le Grand Stade, ça va revenir.

Quels joueurs as-tu côtoyés durant la belle époque de l’OL ?

Une anecdote : on a fêté le titre de championnes de France 2006 avec les garçons. On a été invité trois jours à Saint-Tropez, c’était génial. À l’époque, on n’était pas du tout pros, ça n’avait rien à voir.  Moi, j’étais étudiante, ça faisait rêver. Il y avait Benzema, Ben Arfa, Coupet, Juninho, etc. On était tous ensemble au resto, à fêter le titre. Je me souviens des filles qui partent faire du jet-ski et Benzema qui vient. On partage un moment ensemble. Le truc que tu n’aurais jamais pensé faire dans ta vie. On peut remercier Aulas pour cela.

Et concernant les conflits de l’année dernière entre les deux sections ?

C’est plutôt un conflit entre Garde et Patrice Lair. J’en ai déjà parlé avec Rémi Garde et il le dit bien : il n’a rien contre les filles, il n’est pas forcément fan du football féminin mais il respecte ce que l’on fait. C’est plus des mots échangés avec Patrice qui ne sont pas passés. Mais maintenant, quand tu vois Antonin Da Fonseca, notre ancien préparateur physique, qui est avec les pros, c’est génial. Tout à l’heure, je croise Clément et on discute. Et puis cette génération-là nous connaît depuis longtemps. Ils ont grandi en sachant que l’équipe féminine était déjà là. Et franchement ça se passe vraiment super bien avec les gars. Auparavant, les gars comme Coupet ou Govou venaient. Il a fallu un peu de temps parce qu’ils ne connaissaient pas mais ils appréciaient. Ce qu’a fait Aulas est énorme. Il y a dix ans, je n’aurais jamais imaginé cela. À Montpellier, on croisait vite fait les garçons les garçons, ils disaient bonjour, savaient que tu appartenais au club mais ça s’arrêtait là. À l’OL, tu peux discuter d’un match avec Fekir, Grenier, Umtiti, parce qu’ils sont venus nous voir jouer ! C’est sympa de se sentir soutenues par les garçons. C’est eux qui nous font vivre, faut être réaliste.

Propos recueillis par Agathe Aher et Damien LG



(Photos Damien LG)

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